La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 14 mai 2012

Faute d’histoire et de monuments, l’Indien se revêt ainsi du témoignage de ses exploits.


George Sand, Relation d’un voyage chez les sauvages de Paris, 1e éd. 1846, Paris, Les Éditions du Sonneur, 2010.

Il s’agit d’un court texte, à l’allure de lettre, où George Sand raconte à la 1e personne sa rencontre avec des Indiens d’Amérique lors d’un séjour à Paris. Elle les présente, raconte les circonstances de leur séjour en Europe, décrit la démonstration de leur danse et rapporte leur propos.
C’est un livre étrange et on ne peut que ressentir des sentiments contradictoires à sa lecture. Dans la 1e moitié du XIXe, on peut supposer que la connaissance des Indiens est très mince à Paris. Le voyage de Nuage-Blanc et des siens s’apparente autant à une exhibition commerciale, à un spectacle qu’à une découverte réciproque. Ce qui est très intéressant, c’est que le récit de Sand est nourri par ses propres lectures, notamment celle du Dernier des Mohicans de James Fenimore Cooper (paru en 1826). Elle sait qu’elle a affaire à une civilisation en voie de destruction et de disparition.
L’attitude de Sand est ambivalente, à la fois curieuse de connaître les coutumes de cette tribu, présentant leurs bizarreries, ne cachant pas ce qui lui paraît critiquable (le goût de la guerre, le rôle des femmes), consciente aussi que la civilisation occidentale n’est pas supérieure et qu’elle est destructrice. Sans juger immédiatement, sans moralisme, sans relativisme non plus.
Son texte est à la fois ouvert et naïf. On sent son auteur embarrassée. Son admiration pour les États-Unis ne l’empêche pas de constater que ce pays s’est construit sur une extermination.

Le contraste de ces goûts puérils du sauvage avec la gravité douce de ce profil aquilin et la fierté de ce costume qui rappelle celui des héros de l’antiquité, m’amusait et m’intéressait au plus haut point. Combien n’aurais-je pas donné de couverts d’argent si c’eut été le moyen de pénétrer dans cette âme, et d’explorer ce monde inconnu que chacun porte en soi, et que personne ne peut clairement se représenter tel qu’il est conçu par son semblable !

George Catlin, Indien Crow à cheval, 1854
Berlin, Ethnologisches Museum, image RMN.
Sand montre par ses contradictions sa sensibilité, sa délicatesse et son intelligence. Plusieurs fois Sand établit des comparaisons entre ces Indiens et les héros de l’Iliade, rêvant à un monde « primitif » commun, d’un bout à l’autre de l’humanité.
C’est une nouvelle participation au challenge George Sand de George.



5 commentaires:

claudialucia a dit…

Un écrit de George Sand original! Elle ne va pas aussi aussi loin que Montaigne, semble-t-il, dans son analyse !

La curiosité intellectuelle de Sand s'exprime d'une manière amusante : "les couverts d'argent"..

nathalie a dit…

C'est sûr que ce n'est pas Montaigne, on retrouve chez Sand toutes les contradictions du XIXe siècle. Elle se contente d'une observation pleine d'empathie, avec aussi de la naïveté, en notant des détails comme les couverts d'argent. Montaigne a une réflexion plus théorique et générale en effet.

Alex Mot-à-Mots a dit…

Je ne savais pas qu'elle avait aussi écrit des traités.

Marie a dit…

Encore un écrit de George Sand que je ne connaissais pas. Il semble intéressant, notamment du fait de l'embarras que tu décris.

nathalie a dit…

Alex : ce n'est pas vraiment un traité. Le texte a la forme d'une lettre, à la façon du XVIIIe siècle, avec des réflexions et des propos libres.
Marie : et il est très court !