Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, t. 2, paru en 1921.
J’ai profité de ma semaine
familiale pour relire le second volume de Sodome et Gomorrhe. Le premier relate la rencontre entre Jupien et
Charlus, comme l'insecte et la fleur et se concentre sur les considérations
du narrateur vis-à-vis de l’homosexualité masculine. Le second volet tresse
ensemble plusieurs fils : poursuite de l’étude de Charlus, l’homme-femme,
l’été à Balbec sur la côte normande avec l’amour entre le narrateur et
Albertine, le souper du narrateur chez les Verdurin*, ainsi que la rencontre
entre Charlus et cette haute bourgeoisie cultivée. Ce dernier point donne lieu
à des considérations sociales très amusantes et intéressantes, les Verdurin se
prenant complètement les pieds dans les cousinages incompréhensibles de la
haute aristocratie – « L’idée que le frère du Duc de Guermantes s’appelât
le Baron de Charlus ne lui vint pas à l’esprit. »
* Mais pourquoi donc les Verdurin
servent-ils de la bouillabaisse lors d’un dîner estival normand ?
Et il eut un petit rire qui lui
était spécial – un rire qui lui venait probablement de quelque grand-mère
bavaroise ou lorraine, qui le tenait elle-même, tout identique, d’une aïeule,
de sorte qu’il sonnait ainsi, inchangé, depuis pas mal de siècles dans de
vieilles petites cours de l’Europe, et qu’on goûtait sa qualité précieuse comme
celle de certains instruments anciens devenus rarissimes. Il y a des moments où
pour peindre complètement quelqu’un il faudrait que l’imitation phonétique se
joignît à la description, et celle du personnage que faisait M. de Charlus
risque d’être incomplète par le manque de ce petit rire si fin, si léger, comme
certaines œuvres de Bach ne sont jamais rendues exactement parce que les
orchestres manquent de ces « petites trompettes » au son si
particulier, pour lesquelles l’auteur a écrit telle ou telle partie.
Monet, Cathédrale de Rouen, le soir, 1894, Moscou, musée Pouchkine, image RMN. |
Il y a également de nombreuses
considérations sur les paysages de la côte normande, la variété des points de
vue. Le narrateur explore la région de Balbec en automobile et s’émerveille de
constater combien la vitesse change notre perception de l’espace. C’est
également là que l’on trouve les descriptions changeantes des églises selon la
lumière du jour :
Sur son église, moitié neuve,
moitié restaurée, le soleil déclinant étendait sa patine aussi belle que celle
des siècles. À travers elle les grands bas-reliefs semblaient n’être vus que
sous une couche fluide, moitié liquide, moitié lumineuse, la Sainte Vierge,
sainte Élisabeth, saint Joachim, nageaient encore dans l’impalpable remous,
presque à sec, à fleur d’eau ou fleur de soleil. Surgissant dans une chaude
poussière, les nombreuses statues modernes se dressaient sur des colonnes
jusqu’à mi-hauteur des voiles dorés du couchant.
Mmmm, un délice, tu parles si bien de ce volume qui n'est pourtant pas facile à aborder, le sujet homme-femme peut rebuter, mais les descriptions de Proust sont un tel plaisir à lire et à pénétrer dans leur insondable épaisseur !
RépondreSupprimerBon retour sous le ciel de Marseille !
Merci Grillon, venant de toi, je suis sensible au compliment.
RépondreSupprimerRelire, oui... Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je relise encore A la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, c'est bien agréable. Je peine plus avec Albertine disparue.
RépondreSupprimeroui je préfère aussi les premiers volumes quand toute la magie Guermantes opère encore...
RépondreSupprimerJ'avais oublié que Charlus allait chez les Verdurin. J'ai été étonnée en lisant les quelques allusions qui y sont faites dans Du côté de chez Swann. Je me souviens en revanche plus du couple Charlus - Jupien. J'ai hâte de redécouvrir tout ça!
RépondreSupprimerEt oui, Proust prépare la fin où tous les milieux finissent par se rejoindre !
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