George Sand, Teverino, 1846.
Un petit roman de Sand, pas son
meilleur à mon avis, mais montrant une nouvelle veine de son imagination.
Léonce emmène Sabine pour une
journée de promenade pleine d’imprévus (sous la forme d’un curé, d’une
charmeuse d’oiseaux et d’un mystérieux Italien). Les deux s’aiment sans le
savoir, sans se le dire, l’une trop fière et l’autre trop froid pour le
reconnaître. Ils auront besoin de quelques épreuves pour s’avouer la vérité. On
est à la frontière franco-italienne. L’époque n’est pas précisée mais le récit
est très imprégné par le XVIIIe siècle et par les idées des Lumières
sur l’égalité entre les hommes.
Ce roman est d’abord un
dispositif, entraînant les héros d’un lieu à un autre, d’une discussion à une
autre. Je n’aime pas trop cela, j’avoue. J’ai surtout eu beaucoup de mal à
m’attacher aux personnages, qui ne sont guère sympathiques. Je n’ai pas non
plus de goût pour les dissertations théoriques sur l’amour où les personnages
se leurrent eux-mêmes dans des généralités abstraites.
Alors ? J’ai été sensible au
fait que Sand, avec sa propre sensibilité, écrive un roman du XVIIIe
siècle. Ce roman peint l’aristocratie et leur art de vivre, l’art de la
conversation tel qu’il a été rêvé – difficile de ne pas penser à Marivaux (Cléanthe suggère Jacques le Fataliste de Diderot). Mais
c’est le roman d’un auteur romantique, qui vit après la Révolution, après
l’idéal de liberté entre les hommes et la remise en cause de la toute puissance
de l’Église, capable de porter un regard tendre sur chacun des humains. Le
romantisme est sensible dans les citations du roman de Goethe, Wilhelm
Meister, et dans la mythification de
l’Italie comme patrie des arts, de la liberté et de l’amour – le personnage de
Teverino rappelle l’Italie telle qu’elle apparaît dans Corinne ou
l’Italie de Staël. Enfin, j’ai été très
sensible aux descriptions de paysages : attentives aux formes, aux
lumières, à l’atmosphère, aux animaux, aux plantes… Goût romantique pour les
paysages majestueux de la montagne et ses précipices, pour les forêts
profondes, pour les églises gothiques comme des architectures de rêve.
Vernet, Bergers dans les Alpes, musée des beaux-arts de Tours, image RMN. |
J’ai aussi beaucoup pensé à
Diderot et à la description qu’il a donné en 1765 des peintures de Joseph
Vernet : une promenade philosophique qui s’effectue de sites en sites,
correspondant à autant de tableaux. Je pense que Sand connaît bien son Diderot…
Les paysages traversés dans le roman de Sand sont pittoresques, c’est-à-dire
dignes d’être peints, et le parcours des héros ressemble bien à cette promenade
initiatique, menant à une douce philosophie de l’amour.
Un roman qui ne m’a donc guère
plu, mais qui me paraît extrêmement riche et intéressant, et qui révèle une
nouvelle facette des multiples talents de l’auteur.
Ces flots verdâtres
étaient limpides comme le cristal ; des tapis d’émeraude s’étendaient sur
chaque rive ; le silence de la solitude n’était plus troublé que par de
frais murmures et la clochette lointaine des vaches éparses et cachées au flanc
des collines par une riche végétation. Les gorges granitiques ouvraient leurs
perspectives bleues, traversées à la base par les sinuosités des eaux
argentées. C’était un lieu de délice où tout invitait au repos, et d’où
cependant l’imagination pouvait s’élancer encore dans de mystérieuses régions.
Petit ajout pour les proustiens
(car Proust connaît bien son Sand) : Léonce compare une petite église à
« quelque pagode barbare » ce qui n’est pas sans rappeler le côté persan de l’église de Balbec.
Bon pour le Challenge Sand de George et il viaggio. LCA avec Cléanthe, Claudia Lucia qui rapproche le roman de textes de Musset et Miriam.
Autres romans de Sand chroniqués
ici : François le Champi, Relation d'un voyage chez les Sauvages de Paris, La Famille de Germandre.
les personnages de Sabina et Léonce m'ont agacée au début du roman mais j'ai adoré le basculement de l'univers de la conversation polie (et froide) à l'aventure quand les protagonistes plébéiens ont pris de l'importance.
RépondreSupprimerJe n'ai pas autant de références littéraires. J'ai fait une lecture plus "innocente" de cette sorte de conte. Et j'ai bien aimé.
Je suis une incorrigible retardataire, mais je n'ai pas dit mon dernier mot...
RépondreSupprimerAprès ma lecture je viendrai relire ton billet que je trouve très intéressant !
Sand connaît bien son Diderot, Proust connaît bien son Sand et Nathalie connaît bien les trois! j'aime beaucoup ton analyse, entre autres ce que tu dis sur ce curieux mélange entre XVIII et XIX siècle romantique.
RépondreSupprimerIl faut bien dire, tu as raison, que les personnages de Léonce et de Sabina sont peu sympathiques! D'autre part s'ils ressemblent à Marianne et Octave, ils n'en ont pas le brio et l'esprit. Musset a l'art du marivaudage, pas Sand.
Un joli commentaire et des rapprochements intéressants (je t'admire si tu as eu le courage de lire "Corinne ou l'Italie" jusqu'au bout ;o) ). Finalement, tu n'as pas si mal aimé ce "petit" George Sand...
RépondreSupprimerMiriam : oui j'ai vu que tu avais aimé, j'avoue que j'ai eu beaucoup de mal à être intéressée.
RépondreSupprimerClaudia : je suis une fanatique du XVIIIe siècle, je le vois partout aussi... faudrait que je me penche sur les romantiques d'un peu plus près.
Cleanthe : j'ai lu Corinne en DEUG, pas vraiment aimé mais je m'en souviens plutôt bien du coup. Je ne crois pas avoir vraiment aimé ce Sand, j'ai apprécié l'art plutôt.
Merci à tous pour vos gentils commentaires !