La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 15 juin 2013

Et pourtant, le soleil répandait sa chaleur. Et pourtant, on finissait par se remettre. Et pourtant, la vie savait ajouter à un jour un autre jour.


Virginia Woolf, Mrs Dalloway, traduit de l’anglais par Marie-Claire Pasquier, paru en 1925.

Je me suis offert un petit plaisir pour ce blog, une relecture ravie de ce roman qui raconte une journée de juin de Clarissa Dalloway, une femme riche et élégante dans le Londres de 1923, alors qu’elle organise une réception pour le soir.
Ce n’est pas une femme exceptionnelle par son intelligence ou sa culture ou sa bonté mais elle aime la vie, elle aime faire plaisir aux autres, aimerait que les autres ressentent aussi cet amour de la vie. On croise aussi d’autres personnages : son époux, des amis de jeunesse, un couple de jeunes gens traumatisés par la guerre. Mais la force de Clarissa est d’être là et de tout regarder.
On est dans un monde fluide, on suit les sons des cloches, les odeurs, les lumières, les mouvements de l’air. Les personnages sont en suspension dans la lumière vibrante du mois de juin comme des grains de poussière, comme des taches de peinture dans une toile impressionniste.
Nous suivons les pensées des personnages, notamment celles de Clarissa, et parcourons avec eux les allers et retours entre le présent et les souvenirs. Au moment du roman, les personnages ont la cinquantaine et s’ils ne sont pas tristes de vieillir, tous sont conscients de leur âge, de l’expérience de la vie et de ce que cela change. Ils se rappellent de leur jeunesse quand tous les devenirs étaient possibles.

L’avantage de vieillir, se disait-il, en sortant de Regent’s Park, son chapeau à la main, c’est tout simplement que les passions demeurent aussi vives qu’auparavant, mais qu’on a acquis – finalement – la faculté qui donne à l’existence sa saveur suprême, la faculté de prendre ses expériences et de les faire tourner, lentement, à la lumière.


Virginia Woolf avec son chien, photographiée par
Gisèle Freund, 1939
Paris, Centre Georges Pompidou, image RMN
Ce roman dégage une atmosphère de quiétude et d’apaisement, malgré la guerre, la violence des rapports sociaux et les contraintes de la société.  Il se déroule dans les classes aisées, et pèsent sur tout le monde le poids étouffant des conventions et l’obligation d’être dans l’ordre de la société. Le roman est en effet très ancré dans son temps : la ville de Londres est vivante, elle est bien identifiée, les derniers traumatismes de la Première guerre mondiale, l’Inde qui s’agite, l’attachement à l’empire finissant.

Clarissa, et Woolf avec elle, se méfient des personnes trop d’un bloc, pleines de certitudes, sans faiblesses, sans erreurs, sans tout ce qui fait l’apaisement des années. L’auteur traduit son amour pour l’humanité fragile. Les menus objets, les noms des rues, le son de Big Ben, le parfum des fleurs, c’est cela qui permet de vivre. La langue est pleine des couleurs, des robes, des chapeaux, des bruits les plus divers, des détails qui donnent leur vibration aux sensations, la langue est à la fois fluide et pleine.
Ce livre me fait du bien, peut-être à cause de la douceur de la lumière de juin.

Et, marchant à ses côtés dans le salon, avec Sally présente et Peter présent et Richard très content, avec tous ces gens qui auraient, peut-être, tendance à l’envier, elle avait senti la griserie du moment, comme une dilatation du cœur qui s’était mis à palpiter, comme s’il plongeait puis resurgissait. Oui mais finalement, cela, c’était ce que les autres ressentaient ; car, même si elle aimait cette sensation, ce picotement, ce tintement ; malgré tout, il y avait dans tout ce paraître, dans ces instants de triomphe, il y avait un sentiment de vide ; c’était quelque chose qu’on cueillait à bout de bras, et qui n’atteignait pas le cœur lui-même.

L'avis de La petite marchande de prose, de George qui a eu du mal, de Mango conquise. Mon billet sur Entre les actes. Lu dans le cadre d'une lecture commune woolfienne parce que plusieurs blogs sont plongés dans un mois anglais. Challenge Virginia Woolf chez Lou



9 commentaires:

  1. Un vrai grand plaisir cette lecture et ton billet me redonne envie de m'y lancer encore. Depuis j'ai écouté le texte lu en audiolivre et j'ai beaucoup aimé aussi. La voix de la lectrice dont je devrais retrouver le nom est belle et son interprétation d'une neutralité sensible juste ce qu'il me fallait. Un plaisir redoublé par conséquent.

    RépondreSupprimer
  2. J'adore ce livre ! Je devrais peut-être essayer en audio, tu as raison.

    RépondreSupprimer
  3. Je suis en pleine lecture de Virginia Woolf et je ne m'en lasse pas. Tout à fait d'accord avec ton analyse de ce qui fait le charme de son écriture : les sons, les couleurs, les images, les détails du quotidien...

    RépondreSupprimer
  4. Pas encore lu l'auteur ! L'ambiance que dégage ton billet me plaît.

    RépondreSupprimer
  5. Je pense que tu aimerais Syl. Eliza : moi je connais mal, j'avoue, je n'ai lu que 2 titres pour le moment.

    RépondreSupprimer
  6. Il y a quelque chose que j'adore chez Virginia Woolf, un esprit, un regard. J'aime beaucoup ses essais aussi.

    RépondreSupprimer
  7. Moi aussi, c'est exactement ça.

    RépondreSupprimer
  8. J'ai hâte de lire ce roman, je l'ai dans ma PAL depuis un bon bout de temps.

    RépondreSupprimer
  9. Faut profiter du challenge de Loo, Missy !

    RépondreSupprimer

N’hésitez pas à me raconter vos galères de commentaire (enfin, si vous réussissez à les poster !).