Alice Munro, Les Lunes de
Jupiter, traduit de l’anglais par Colette
Tonge, paru en 1982.
J’ai lu ce recueil de nouvelles
avec plaisir. Elles sont toutes écrites du point de vue d’une femme, en général
d’âge mûr, en couple ou non, toujours un peu déçue de la vie, des hommes et
d’elles-mêmes. Mais l’intérêt de ces nouvelles réside dans l’interaction de ses
femmes avec leurs familles et leurs proches. Les souvenirs se mêlent à d’imperceptibles
annonces dans un flot de pensée. C’est particulièrement intéressant car sont
évoqués à petites touches la pauvreté dans les campagnes et les changements de
la société.
Munro a une vraie finesse
d’analyse, mentionnant des objets, des paroles, les tissus et les couleurs des
vêtements, les intonations. Elle est attentive à la différence des sexes, des
générations, des rangs sociaux, du rapport à la culture.
Elles étaient toutes dans la trentaine, âge auquel il est parfois difficile d’admettre que c’est sa propre vie qu’on est en train de vivre.
Louise Bourgeois, Femme et horloge, 1994, Londres, Tate gallery |
Il me semble avoir déjà lu un
recueil de Munro, mais sans certitude : j’avoue un faible intérêt pour les
récits de femmes désabusées et méprisées par leur mari, même si cela est narré
avec un talent incontestable. Cela n’est pas le cas dans ce recueil qui m’a plu
par la diversité des personnages évoqués (les sœurs excentriques de la 1e
nouvelle par exemple) ou des situations. Les personnages vivent des moments sur
le fil ou voient leur vie basculer sans forcément savoir si c’est un bien ou
non. Cette incertitude du regard portée sur sa propre existence est sans doute
ce qu’il y a de plus touchant. Il y a aussi quelque chose de bien vu sur le
rapport des jeunes gens à leurs parents, puis eux-mêmes devenus parents, à
leurs propres enfants, notamment dans la dernière nouvelle, qui est ma préférée.
Je me trouvais presque dans
l’état d’un adulte qui a honte de ne jamais avoir appris à lire, tant j’étais
consciente de ma nullité pour les travaux manuels. Le travail, pour tous les
gens que je connaissais, cela voulait dire faire des choses, et je n’étais pas
douée pour cela, et le travail, c’était ce dont les gens étaient fiers et par
quoi ils se mesuraient aux autres.
Munro a un intérêt pour le
passage du temps, les pensées intimes et l’apparition d’une idée à la faveur
d’un tout petit événement. Comment le souvenir se tisse avec le présent,
comment on anticipe une remarque que l’on va entendre, comment le corps s’y
prépare.
J'ai déjà entendu parler d'elle, il faudrait que je lise quelques unes de ses nouvelles. Ton billet m'a intrigué, à creuser! Bises
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ton dernier paragraphe qui me donne envie de découvrir ce livre.
RépondreSupprimerJe vous conseille ce recueil. Je crois que c'est Fugitives que j'avais lu et trouvé sans plus.
RépondreSupprimerAlice Munro , en bonne anglo saxonne puritaine mais pas embarrassée par la morale sexuelle catholique doctrine parle avec force des tourments du désir féminin, de l'impossibilité de communiquer avec l'autre , en l'occurrence l'autre sexe. Voir "Le carnet d'or" de Doris Lessing. Il y a ce même genre d'histoire et d'absolue honnêteté qui va jusqu'à l'abjection dans l'analyse du désir et de l'amour
RépondreSupprimerOui, je trouve que tu as tout à fait bien vu l'intérêt de ces nouvelles, et la particularité du style de Munro. J'aime beaucoup la finesse de son regard. Merci pour cette, une fois encore, passionnante participation.
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