Laurence Sterne, La Vie et les opinions de Tristram Shandy,
traduit de l’anglais par Guy Jouvet, parution originale à partir de 1759, édité en
France chez Tristram.
Fidèle lectrice d’Arno Schmidt,
j’avais bien noté la passion qu’il avait pour ce roman britannique. Je me suis
donc fait un devoir / un plaisir de le lire.
Le narrateur est ce Tristram
Shandy qui prétend raconter sa vie, ou plus exactement sa naissance, même si en
réalité les amours de son oncle l’intéressent davantage. Mais l’essentiel est
la liberté de l’écrivain qui tresse les digressions avec un art tout
particulier. Ce roman est un long discours dialogué où la pensée de l’auteur va
par monts et par vaux, entrecoupée d’énergiques tirets. On s’y moque des gens
sérieux, des théologiens et de beaucoup d’autres. Les misogynes, les
esclavagistes et tous ceux qui ont le goût des discours et de la morale (cela
fait beaucoup de monde) y sont ridicules. Les jeux de mots les plus graveleux
sont les bienvenus, de longues pages sont ainsi consacrées à un nez
particulièrement long qui affole les femmes (comment, un double sens ?).
On croise aussi un certain Yorick dont la famille est originaire du Danemark.
Illustration de Martin Rowson, provenant du site Laurence Sterne Trust |
Sterne repousse sans cesse son
sujet, les phrases comme le récit s’interrompent brutalement pour prendre un
autre tour, il interpelle son lecteur et surtout sa lectrice, se moque des protocoles littéraires (entrée
en matière, dédicace) mais se lance, à sa volonté, sur des évocations
émouvantes de la mort ou de la bonté sans fond d’un personnage.
Sterne se place lui-même dans la
droite ligne de Cervantès, de Rabelais et de Montaigne qu’il cite à de
multiples reprises. J’ai aussi pensé à Jacques
le fataliste de Diderot, qui est véritablement de la même veine.
C’est que « le genou est à une grande distance du corps principal de la place –––– tandis que l’aine, Votre Honneur le sait, est carrément située sur la courtine de ladite place ».
Et Arno Schmidt ? Il a pu
trouver cet amour de la langue, ce goût pour l’onomastique, ce plaisir à mêler
les références et le scabreux, l’obsession autour du sexe et de l’impuissance,
cette passion pour les cartes et les fortifications militaires qui fait le
meilleur de Cœur de pierre. Comme
Schmidt, Sterne malaxe avec brio toutes les sciences de son temps, dans un but
évidemment satirique.
En dépit de ses 900 pages bien
comptées, j’ai eu la surprise de lire ce roman avec une certaine rapidité,
beaucoup de joie et d’étonnements. L’inattendu abonde au fil des pages,
l’inventivité et le talent de l’auteur pour sans cesse repousser son fil
narratif sont réjouissants (même si j’ai connu quelques passages à vide,
avouons-le).
Ah, les billevesées... c'est toujours un plaisir !
RépondreSupprimerAh mais voilà, je t'offre un slogan pour tes dimanches !
SupprimerJ'ai mis un temps fou à le lire. C'est déconcertant et puis un jour je m'y suis attelée.. Lu d'un trait et j'ai apprécié. Certains passages sont à se taper le c** par-terre. Le film qui s'en inspire (Tournage dans un jardin anglais) est très long. C'est aussi très confus! Il y a des passages en-dessous de la ceinture qui restent aussi drôles que chez Sterne.
RépondreSupprimerJe me demandais justement ce que valait le film, merci pour l'info !
SupprimerEn effet, au départ, c'est une lecture qu'on appréhende et finalement on se rend compte qu'on a déjà avalé 100 pages comme rien !
A lire le titre de ton article, je me demande si Lili Galipette et Laurence Sterne...
RépondreSupprimerBravo à toi. Je n'ai toujours pas pu me résoudre à l'entamer.
RépondreSupprimerIl faut se lancer, s'accrocher un peu et hop... et ne pas hésiter à sauter les passages barbants.
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