La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 5 août 2014

J’ai une furieuse envie de commencer ce chapitre par une pure billevesée, et je ne vais point m’en priver.

Laurence Sterne, La Vie et les opinions de Tristram Shandy, traduit de l’anglais par Guy Jouvet, parution originale à partir de 1759, édité en France chez Tristram.

Fidèle lectrice d’Arno Schmidt, j’avais bien noté la passion qu’il avait pour ce roman britannique. Je me suis donc fait un devoir / un plaisir de le lire.

Le narrateur est ce Tristram Shandy qui prétend raconter sa vie, ou plus exactement sa naissance, même si en réalité les amours de son oncle l’intéressent davantage. Mais l’essentiel est la liberté de l’écrivain qui tresse les digressions avec un art tout particulier. Ce roman est un long discours dialogué où la pensée de l’auteur va par monts et par vaux, entrecoupée d’énergiques tirets. On s’y moque des gens sérieux, des théologiens et de beaucoup d’autres. Les misogynes, les esclavagistes et tous ceux qui ont le goût des discours et de la morale (cela fait beaucoup de monde) y sont ridicules. Les jeux de mots les plus graveleux sont les bienvenus, de longues pages sont ainsi consacrées à un nez particulièrement long qui affole les femmes (comment, un double sens ?). On croise aussi un certain Yorick dont la famille est originaire du Danemark.

La gravité, lâchait-il quelquefois avec son franc-parler, la gravité est une fieffée salauderie, et, ajoutait-il, –––– de l’espèce la plus dangereuse, –––– oui, dangereuse parce que sournoise ; en une année, il s’en déclarait profondément convaincu, en une année elle vous embabouinait plus d’honnêtes gens, vous attrapait plus de gobe-lunes pour les délester proprement de leurs biens et leur soutirer leur bourse qu’en sept années les tire-laine et les voleurs à l’étalage !
Illustration de Martin Rowson, provenant du site Laurence Sterne Trust

Sterne repousse sans cesse son sujet, les phrases comme le récit s’interrompent brutalement pour prendre un autre tour, il interpelle son lecteur et surtout sa lectrice, se moque des protocoles littéraires (entrée en matière, dédicace) mais se lance, à sa volonté, sur des évocations émouvantes de la mort ou de la bonté sans fond d’un personnage.

Sterne se place lui-même dans la droite ligne de Cervantès, de Rabelais et de Montaigne qu’il cite à de multiples reprises. J’ai aussi pensé à Jacques le fataliste de Diderot, qui est véritablement de la même veine.

C’est que « le genou est à une grande distance du corps principal de la place –––– tandis que l’aine, Votre Honneur le sait, est carrément située sur la courtine de ladite place ».

Et Arno Schmidt ? Il a pu trouver cet amour de la langue, ce goût pour l’onomastique, ce plaisir à mêler les références et le scabreux, l’obsession autour du sexe et de l’impuissance, cette passion pour les cartes et les fortifications militaires qui fait le meilleur de Cœur de pierre. Comme Schmidt, Sterne malaxe avec brio toutes les sciences de son temps, dans un but évidemment satirique.
 
La ligne du fil narratif et ses digressions...
En dépit de ses 900 pages bien comptées, j’ai eu la surprise de lire ce roman avec une certaine rapidité, beaucoup de joie et d’étonnements. L’inattendu abonde au fil des pages, l’inventivité et le talent de l’auteur pour sans cesse repousser son fil narratif sont réjouissants (même si j’ai connu quelques passages à vide, avouons-le).
  
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7 commentaires:

  1. Ah, les billevesées... c'est toujours un plaisir !

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    1. Ah mais voilà, je t'offre un slogan pour tes dimanches !

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  2. J'ai mis un temps fou à le lire. C'est déconcertant et puis un jour je m'y suis attelée.. Lu d'un trait et j'ai apprécié. Certains passages sont à se taper le c** par-terre. Le film qui s'en inspire (Tournage dans un jardin anglais) est très long. C'est aussi très confus! Il y a des passages en-dessous de la ceinture qui restent aussi drôles que chez Sterne.

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    1. Je me demandais justement ce que valait le film, merci pour l'info !
      En effet, au départ, c'est une lecture qu'on appréhende et finalement on se rend compte qu'on a déjà avalé 100 pages comme rien !

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  3. A lire le titre de ton article, je me demande si Lili Galipette et Laurence Sterne...

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  4. Bravo à toi. Je n'ai toujours pas pu me résoudre à l'entamer.

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    1. Il faut se lancer, s'accrocher un peu et hop... et ne pas hésiter à sauter les passages barbants.

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