Gustave Flaubert, La Tentation de saint Antoine, 1874.
J’ai entendu parler assez tard de
ce roman auquel Flaubert a travaillé toute sa vie et dans lequel on reconnaît
plusieurs de ses obsessions familières.
Le roman a pour point de départ
une des multiples illustrations peintes de ce thème, celle de Brueghel vue à
Gênes (lors de son voyage dont je vous ai parlé) : une nuit le diable
apparaît à l’ermite et le soumet à la tentation. La narration se poursuit avec
la découverte pour Antoine de toutes les connaissances philosophiques et
religieuses de son temps (et Dieu sait que l’époque est riche en la matière).
Dieux égyptiens, grecs et romains en voie de disparaître, sectes chrétiennes de
toutes sortes, cultes orientaux, philosophies variées… Apologie de la chair ou
dégoût du monde, l’affrontement entre ces pensées est stérile et n’aboutit à
aucune vérité. De même, le syncrétisme ne débouche sur rien. Les dieux, dans
toutes leurs diversités, passent et sont voués au néant – en serait-il de même
pour le dieu chrétien ? Leur succèdent des monstres issues de toutes les
mythologies d’Afrique et d’Asie, pas moins ou pas plus convaincants.
L’évocation du foisonnement religieux de ce coin de désert au IIIe
siècle est très réussie et traduit bien tout à la fois l’incertitude et
l’exaltation des premiers chrétiens. Tous les dieux y semblent à la fois morts
et vivants.
Antoine vivement, relève sa tête, les regarde sans parler ; puis marchant droit sur eux :
- Docteurs, magiciens, évêques et diacres, hommes et fantômes, arrière ! arrière ! Vous êtes tous des mensonges !
Les hérésiarques :
- Nous avons des martyrs plus martyrs que les tiens, des prières plus difficiles, des élans d’amour supérieurs, des extases aussi longues.
Antoine :
- Mais pas de révélation ! pas de preuves !
Alors tous brandissent dans l’air des rouleaux de papyrus, des tablettes de bois, des morceaux de cuir, des bandes d’étoffes.
D. Teniers II, La Tentation de Saint Antoine, 1640-50, Louvre, M&M |
Pas vraiment un roman, La Tentation de saint Antoine est une
succession de tableaux où les personnages apparaissent et se succèdent comme
sur une scène de théâtre. Flaubert y assemble toute la documentation
disponible, depuis Athanase jusqu’à Renan. L’aporie sur lequel débouche
l’accumulation de ses savoirs annonce celle de Bouvard et Pécuchet. Flaubert a commencé son texte avant son Voyage en Orient, l’a achevé après et on
retrouve la précision des notations de Salammbô.
Par ailleurs, les lamentations d’Antoine, regrettant de possibles péchés qu'il n'aura pas commis,
évoquant une vie non vécue, rappellent les rêveries sans fin d’Emma Bovary et du Frédéric de l’Éducation sentimentale.
Comment ? mes oraisons, mes sanglots, les souffrances de ma chair, les transports de mon ardeur, tout cela se serait en allé vers un mensonge… dans l’espace… inutilement, – comme un cri d’oiseau, comme un tourbillon de feuilles mortes !
Dépourvu d’intrigue romanesque,
la Tentation n’est pas facile à lire
et a une structure assez répétitive. L’évocation des monstres a volontiers des
allures de grand guignol et ne manque pas de puissance. Sa lecture permet aussi
de sortir Flaubert de la Normandie et de rappeler son goût intime pour l’Orient
et l’ailleurs. Pourtant l’ermite de Croisset, à l’existence vouée à l’art et à
la littérature, a bien dû éprouver les affres du néant lui aussi.
Les Centaures arrivent au grand
galop, et déboulent pêle-mêle dans le trou noir.
Derrière eux, marche en boitant
la troupe lamentable des Nymphes. Celles des prairies sont couvertes de
poussière, celles des bois gémissent et saignent, blessées par la hache des
bûcherons.
j'aime bien lire ou relire certaines oeuvres un peu oubliées parfois on a la main heureuse mais pas toujours
RépondreSupprimercelui ci ne me tente pas vraiment je préfère Salambô que j'ai mis à mon programme
Je n'ai pas trop aimé Salammbô pour le dire.
SupprimerJ'ai très envie de lire cette oeuvre mais c'est vraie qu'elle n'est pas beaucoup connue. Je suis en train de lire "Madame Bovary" actuellement !
RépondreSupprimerPas connue et pas très attrayante en effet.
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