Anonyme, Voyage à Visbecq, 1794, éditions Anacharsis.
Curieux texte que ce
récit de voyage fantastique, voire surréaliste.
Le narrateur commence par
s'interroger sur le temps et le déroulement du calendrier, achète de l'opium
pour accélérer le cours des choses et... Suit le récit d'un rêve ou d'un voyage
avec des éléphants orange, une prison, des mages et des épreuves initiatiques.
En une centaine de pages on passe d'un univers à l'autre, au gré de
l'imagination du mystérieux auteur. Le lecteur doit être attentif pour ne pas
se perdre. D'autant que s'intercale un beau récit chevaleresque ancré dans le
territoire de ce qui deviendra la Belgique.
Mais ce qui attira surtout mes regards, ce fut l'arbre sous lequel j'étais assis:le tronc et les branches étaient d'argent et les feuilles ressemblaient à du satin violet; il portait des fruits de la grosseur d'un œuf ; il y en avait de toutes les couleurs ; de bleus, de jaunes, de rouges.
La riche préface rappelle
le contexte littéraire. Le XVIIIe siècle abonde en romans explorant
le centre de la terre ou voyageant dans des univers parallèles (c'est le siècle
de Robinson et de Gulliver), à l'allure de contes orientaux (façon 1001 nuits ou Flûte enchantée). On est ici dans cette belle lignée, avec une
plume légère et ironique, sans respect pour la dignité philosophique. Car il ne
s'agit pas de disserter sur la diversité du monde, mais de manger, de passer du
temps avec des amis agréables – et de chanter la Belgique dans des vers
précieux. Le roman mêle ainsi le monde de la chevalerie (avec la très ancienne
chasse au sanglier), l’ancrage dans le territoire flamand, les personnages à la
vague allure de mages égyptiens, le goût pour les initiations mystiques (le
siècle a aussi inventé les francs-maçons) et l’invention de mondes
fantastiques.
Boucher, Étude d'arbre, Hambourg, Kunsthalle, photocopie ! |
Le roman chante le
pouvoir de l'imagination, des souvenirs d'enfance, de la musique et de
l'odorat. En bon disciple de Rousseau, l’autour loue les charmes ineffables de
la nature, des paysages et de la vie à la campagne. Il se moque de ces riches
urbains qui s'émerveillent devant les violettes et le mode de vie des paysans.
Ce roman malgré sa
brièveté ne se lit pas forcément facilement, car la langue est celle du XVIIIe
siècle : rapide, volontiers elliptique, avec le charme d'une conversation
élégante. Cette lecture possède néanmoins un
charme certain. C'est toujours un plaisir de voir le XVIIIe siècle
manier si bien l'invention surréaliste.
Il était quatre heures du
matin. C'était au mois de mai. Mon guide marchait à côté de moi : mon guide ne
voyait rien.
Il me plaignait de ce que
la rosée qui couvrait l'herbe des prairies mouillait mes souliers et mes bas...
Les pleurs de l'aurore, les diamants dont la nature se pare dans ses jours de
fête !
Et ben moi, ça me tente !
RépondreSupprimerPas facile à lire, la préface aide beaucoup, mais vraiment curieux ! Ils font de ces trucs au XVIIIe !
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