La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 7 février 2017

Ici, là-haut, sur le sommet dénudé de l’Arizona, le temps était mourant.

Glendon Swarthout, Bénis soient les enfants et les bêtes, traduit de l’américain par Gisèle Bernier, parution originale 1970, édité en France chez Gallmeister.

Cavalcade de bisons et d’enfants.
Six enfants se réveillent en pleine nuit pour s’enfuir d’un camp où leurs parents les ont mis pour l’été afin qu’ils deviennent de vrais cow-boys. On les surnomme « les Pisseux », mais ils ont une mission. Ils ont quelque chose de très précis à faire et pour cela ils se faufilent dans la nuit, volent une voiture et échafaudent un plan. Des passages en italiques reviennent en arrière sur chacun des garçons et sur ce fameux été.

Car c’était la substance fondamentale de toutes les histoires d’aventures américaines : des hommes armés, allant quelque part, pour faire quelque chose de dangereux. Qu’il s’agisse de partir à la découverte d’un continent à bord d’un chariot de pionnier, de sceller l’Union en plein désert, de sauver le monde en lui apportant la démocratie, de franchir les mers et de défricher les jungles et de planter nos graines, notre drapeau et notre mentalité, l’essence de notre mélodrame reste la même : des hommes armés, allant quelque part, pour faire quelque chose de dangereux.

Nous lisons d’abord l’histoire d’une amitié. Six garçons, mal ou peu aimés par leurs parents, souvent très riches, amenés dans ce camp pour apprendre la vie à la dure, vaincre leurs petites faiblesses, et qui parviennent à s’unir pour faire la nique aux moniteurs, aux encadrants, aux autres garçons, sans pourtant prendre jamais l’allure de gros durs – ce seraient plutôt des pleurnichards. Mais ces perdants-là sont fans de l’Amérique qui fait rêver : des galopades des cow-boys, des films de western avec les héros virils et les belles filles, du rock, du blues, de la country, mais eux, bien sûr, ils ont le cœur tendre et ne s’approprient pas cette culture de la violence. Les bisons sont le cœur de l’Amérique, la bête sauvage par excellence, le symbole du génocide par lequel tout a commencé, et pour ces bisons, les petits garçons accompliront l’exploit.
Ce livre se dévore. La construction est habile puisque les garçons savent précisément où ils veulent se rendre en pleine nuit et ce qu’ils veulent y faire, alors que le lecteur ne le comprend que bien plus tard. Et puis les paragraphes rétrospectifs racontent progressivement, au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire, les semaines qui ont précédé.
Native North American, probably a Blackfoot, Bison Hunting,  vers 1890, aquarelle, British Museum, RMN.
La langue de Swarthout a une sorte d’évidence et d’une certaine simplicité dans sa force. Le roman est plein d’humour et d’amour, car les garçons sont attachants dans leur faiblesse et leur enfance fracassée et malheureuse. Ils sont farcis de cinéma américain où ils prennent leurs modèles, leurs héros et leurs motivations pour agir, même si certains d’entre eux pissent encore au lit. Les enfants se confrontent directement aux légendes les plus crades de l’Amérique, à la route 66 pleine d’ordures ou aux bisons abattus pour la gloriole. Ce groupe fissuré se raccroche à son chef comme à un père ou un guide qui les emmènera vers la fierté d’être eux-mêmes.

-       -  C’est le matin ! s’écrièrent-ils d’une seule voix. Waouh, on est restés debout toute la nuit !
En un éclair, ils furent sur leurs pieds, se soutenant mutuellement, dévisageant bouche bée ces étrangers avec qui ils avaient partagé les longues heures sombres de danger et d’accomplissement, ces taches de boue et de sang sur leurs visages, ces touffes de paille dans leurs chevelures. Ils avaient l’air d’une pauvre bande de canaris égarés, trop épuisés même pour chanter.

De Swarthout, j’ai aussi beaucoup aimé Le Tireur et Homesman.
Merci à Babelio et à Gallmeister pour cette lecture.


2 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Je savais que ce roman était fait pour moi !

nathalie a dit…

Au bout de trois titres, je dois reconnaître que j'aime décidément bien cet auteur.