Albert Sánchez Piñol, Victus, traduit de l’espagnol par
Marianne Million, parution originale 2012.
Énorme roman de guerre et de poliorcétique.
Le narrateur, Martí Zuviría, est
un barcelonais qui nous raconte comment il est devenu, presque par
inadvertance, le dernier élève de l’immense Vauban, puis ingénieur militaire,
embarqué dans la guerre de Succession d’Espagne, dans un camp, puis dans
l’autre, et enfin défenseur de Barcelone, ville assiégée qui finit par
succomber. Tout cela en 700 pages.
Bien sûr, que c’était un Dix Points. Davantage que regarder, c’était comme s’il écoutait : les objets, les insectes, l’entourage dans son ensemble et même l’air transparent lui parlaient, heureux de s’ouvrir à lui dans une confession volontaire. Puis il fit un geste : il leva une main, comme pour demander à un orchestre de se taire.
J’ai beaucoup aimé cette lecture
qui m’a embarquée très facilement. Le narrateur raconte tout cela comme un
roman d’aventure, ou un roman picaresque, facétieux et grotesque. Il est
pourtant question du noble art de la défense et de l’attaque des villes, noble
art conçu comme une science efficace et rigoureuse. Vauban y apparaît
véritablement comme un grand homme, un génie imprévisible (et je dois dire que
les explications techniques sont extrêmement bien faites, on comprend tout aux
tranchées et aux bastions). Pourtant, c’est à la guerre que se trouve confronté
Zuviría, la vraie guerre, avec ses hommes pendus aux arbres et ses
bombardements aveugles – la boucherie. Le XVIIIe siècle, c’est aussi
ce moment où les armées de métier, avec leurs mercenaires qui n’appartiennent à
aucun camp, mais qui sont payés pour un travail, font place à des armées populaires.
Un ennemi est un rebelle, et un rebelle, civil ou militaire, doit être tué.
Dans le cloître de la cathédrale de Barcelone. M&M |
C’est aussi un roman d’amour pour
Barcelone et son petit peuple d’épiciers, et même pour ses bandits. En ce sens,
Victus est un roman catalan !
Les grands noms de l’histoire en prennent pour leur grade, Louis XIV est appelé
le Monstre, et les autres rois apparaissent tout aussi peu glorieux et sans
souci de leur population. On lit également des descriptions extrêmement vives
et précises du siège d’une ville, des attaques, des bombardements, des guerres
dans toute leur violence aveugle et leur hasard incontrôlable.
Le narrateur raconte tout cela
avec ton joyeux et entraînant, plein de vie, décidé à survivre à tout, sautant à pieds joints dans l'humour noir.
Un bémol : je n’ai pas bien
compris l’intérêt de présenter le roman comme le récit rétrospectif d’un
narrateur âgé et plein d’expérience, je n’ai pas du tout cru à ce recul qui
n’apporte pas grand-chose à l’histoire.
Après avoir beaucoup aimé La Peau froide, roman fantastique qui
m’avait fait très peur, on va continuer dans la découverte d’un auteur capable
d’écrire dans des veines aussi différentes.
Il y avait en Vauban un paradoxe
impossible. Parce que si j’ai parlé précédemment, avec dégoût, de ceux qui
nient l’art de la guerre, il faut le comprendre en termes vaubaniens. Qu’est-ce
que la guerre ? Tripes à l’air, pillage et destruction. Le paradoxe étant
que, dans la conception de Bazoches, l’art de la guerre poussé à sa dernière
extrémité annihilait la guerre. Une discipline dont la finalité tendait vers sa
propre désintégration !
Bon pour le mois espagnol de
Sharon.
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