Victor Hugo, Les Misérables, 1862.
J’ai donc relu Les Misérables, tout au long de deux
semaines de vacances. Et j’ai adoré.
Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.
Il s’agit du roman de Jean
Valjean. Quand il apparaît, il vient d’être libéré du bagne de Toulon où il a
passé 19 ans pour avoir volé un pain. C’est un être désespéré qui découvre
l’humanité grâce à l’évêque de Digne, dont le magnifique portrait ouvre le
roman. Jean Valjean décide alors d’avoir l’existence la plus discrète possible,
tout en étant du côté de la bonté et de la justice. C’est ainsi qu’il croise
sur sa route la pauvre Fantine, puis sa fille Cosette, les terribles Thénardier,
l’inspecteur de police Javert et bien d’autres, dont le petit Gavroche. Le
roman se clôt peu après les émeutes parisiennes de 1832.
Qu’est-ce qui est bon marché à présent ? tout est cher. Il n’y a que la peine du monde qui est bon marché ; elle est pour rien, la peine du monde !
C’est un roman immense, dont je
tairai le nombre de pages par pudeur, avec de très nombreux personnages qui se
croisent et se recroisent, ce qui en fait toute la réussite. Les portraits sont
nombreux et complexes et Hugo porte de l’intérêt à toutes ces figures, même les
plus noires, ce qui permet au lecteur, à chaque nouvelle apparition, de se
demander si celui-ci sera ou non un héros. Javert est un policier
impressionnant, honnête, efficace et sans illusion, mais la pègre n’est pas
moins toute puissante. Gavroche n’est pas si petit que cela et agit comme ces
figures de fou ou d’innocent capables de renverser le destin et qui abondent
chez Hugo (le voleur de Mille francs de récompense, le fou errant de Mangeront-ils ?). Du côté des figures féminines, ce n’est pas
tout à fait cela, même si les Thénardier femelles et Fantine ont nettement plus
d’épaisseur que Cosette. Il y a aussi un magnifique grand-père avec monsieur
Gillenormand. Et très beaux portraits d’enfants, avec des accents poignants
pour décrire ces enfants pauvres, qui travaillent tout petits, qui vivent dans
la rue, à la merci de la police et des plus forts, maigres et affamés. Il y a de
nombreux retournements et coups du sort, ce qui fait que l’on reste en haleine
jusqu’à la fin : ce pauvre Jean Valjean va-t-il enfin trouver la
paix ?
Daumier, La Voiture de 3e classe, vers 1863-5, Ottawa, musée des beaux-arts, M&M. |
Toutes les choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent : après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui se passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres.
Le roman donne une vision de la
société centrée sur ceux d’en bas : un ancien forçat, des pauvres, des
très pauvres, des voleurs, des étudiants. Il est question de la colère sociale
dans le Paris d’après la Révolution et d’après Napoléon, qui sont très présents
dans les imaginaires de plusieurs personnages ou familles et qui donnent lieu à
des analyses contrastées. Mais la geste impériale, les élans révolutionnaires,
l’espoir dans un monde meilleur portent les rêves de nombre d’entre eux, loin
des divers régimes politiques du XIXe siècle qui semblent bien
raplaplas. C’est aussi une critique de la justice, des galères et de la peine
de mort, une dénonciation déchirante de la misère physique, sociale et
spirituelle. Le roman se présente avec un ancrage solide, puisque divers lieux
de l’action sont réels ou du moins l’étaient récemment – c’est du moins ce que
nous dit le narrateur qui prétend avoir eu accès aux souvenirs et aux lettres
de plusieurs personnages. C’est une histoire vraie ou réelle, ou du moins qui
pourrait l’être, celle du petit peuple dont les misères font les soubresauts de
la grande histoire, dont les renoncements ou les actes de courage sont dignes
de l’épopée et dont les petits égoïsmes tuent tout aussi bien que les grands crimes.
L’auteur proclame ici son amitié pour les révolutionnaires, les insurgés, les
émeutiers, avec leurs violences et leurs erreurs, plutôt que pour les
conservateurs de salon. On est en pleine veine romantique.
Toute la personne de cette enfant, son allure, son attitude, le son de sa voix, ses intervalles entre un mot et l’autre, son regard, son silence, son moindre geste, exprimaient et traduisaient une seule idée : la crainte.
La crainte était répandue sur elle ; elle en était pour ainsi dire couverte ; la crainte ramenait ses coudes contre ses hanches, retirait ses talons sous ses jupes, ne luis laissait de souffle que le nécessaire, et était devenue ce qu’on pourrait appeler son habitude de corps, sans variation possible que d’augmenter. Il y avait au fond de sa prunelle un coin étonné où était la terreur.
Notons quand même que Hugo a une propension au placard qui arrête l’action et qui assomme le lecteur. Ce défaut, très sensible dans L’Homme qui rit, l’est moins ici, mais quand même commencer le tome 3 par Waterloo et le tome 4 par la Monarchie de Juillet, c’est un peu dur !
Ce roman adresse de nombreux clins d’œil aux autres romans de Hugo, à Eugène Sue, à Balzac et à ses Splendeurs et misères des courtisanes et note des particularités de la langue française chez l’aristocratie que l’on retrouvera chez les Guermantes de Proust.
y a pas rien de vaut les classiques
RépondreSupprimerIl y a quelques années j'ai relu les Misérables parce que je me les suis offert en pléiade et puis plus récemment je les ai écouté en livre audio et ce fut de nouveau le même plaisir
je suis d'accord avec toi sur les passages qui aujourd'hui ne nous parlent pas mais qui avaient sans doute beaucoup plus d'intérêt à l'époque d'Hugo
On a beau le moqué il reste pour moi un géant de la littérature
C'est très facile de se moquer d'Hugo (j'ai moi-même lu des passages de 93 en imitant la voix de Malraux, c'était à mourir de rire), mais oui, c'est un grand !
SupprimerQuatre tomes sont chez moi, pour une lecture (ou relecture, va savoir). Dominique a raison, les classiques, on y revient toujours (je viens de recommencer du côté de Guermantes)
RépondreSupprimerMa relecture de Proust est toujours en cours, à raison d'un volume tous les trois mois, je pense avoir fini en juin !
SupprimerMon Hugo de l'été n'est pas encore entamé! mais j'ai tout décalé!
RépondreSupprimerVu la longueur il faut parfois un peu d'organisation en effet.
SupprimerAh, merveille des merveilles !!! Un de mes Hugo préférés !
RépondreSupprimerIl me semblait bien que Jean Valjean était ton chouchou.
SupprimerOh oui ! Et va savoir pourquoi, je lui ai toujours prêté les traits de mon cher papa...
SupprimerOh ! Mais ça fait un papa impressionnant, ça !
SupprimerEt un Valjean que je ne pouvais qu'adorer !
SupprimerOh! que tu en parles bien ! Un grand roman malgré les défauts que tu cites. Et puis des grandes fulgurances aussi comme cette citation que tu fais sur le cheval de la vie.
RépondreSupprimerPour notre LC du 15 septembre (biographie au choix de VH)je viens de lire un biographe qui non seulement déteste Hugo l'homme (il y a certainement de quoi !) mais est condescendant avec ses écrits : il traite Les Misérables d'oeuvre "ingénieuse", c'est tout. ET cela m'a énervée !
Je voulais parler du livre de Perrignon (VH vient de mourir) pour le 15 septembre, mais je ne l'ai pas trouvé très intéressant, donc je m'abstiendrai.
SupprimerEt oui, "ingénieux" est un peu léger (alors que l'on peut trouver de véritables défauts, larmoyant, emphatique, par exemple si l'on n'aime pas ce roman).
En quinze jours seulement ? Quel talent !
RépondreSupprimerAllez, ce sera mon pavé de l'été 2018, celui-là ! Pour ma part, je ne le possède qu'en deux tomes. Autant dire que leur taille en elle-même est déjà impressionnante :D
Je l'ai lu en numérique, ce qui est beaucoup plus pratique et moins lourd.
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