La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



dimanche 3 septembre 2017

J'aurais voulu faire taire les voix qui s'exprimaient derrière moi, pour trouver le diapason des grenouilles.

Alejo Carpentier, Le Partage des eaux, parution originale 1953, traduit de l'espagnol par René L. F. Durand.

Une tentative de fuite musicale.
Le narrateur est compositeur pour l'industrie des loisirs et de la publicité. Un peu par hasard le voici parti dans une forêt vierge d'Amérique du Sud à la recherche d'instruments de musique anciens. Ce sera pour lui une quête, vers son enfance, vers l'histoire de la musique et de l'humanité, vers l'amour, vers l'art.
Le narrateur est de ces êtres très cultivés, heureux et charmés de retrouver pleinement vivants les grands mythes universels dans le quotidien des habitants de la forêt, Indiens, chercheurs d'or ou descendants de colons, alors même que les Occidentaux de sa classe ne voient plus que des mots et des histoires vides de sens. Les habitants des grandes villes occidentales ont perdu leur liberté, au profit du travail et de leurs loisirs vides. Au début du roman, le narrateur en vacances ne sait même plus ce qu’il doit faire à présent que son emploi du temps n'est plus prescrit. La forêt vierge devient alors le lieu d'une plus grande vérité humaine et d’une liberté réelle, loin des compromissions et des renoncements de tous les jours. Pour cela, il faut se rapprocher des personnages les plus simples, car les intellectuels sud-américains sont fascinés par les cafés parisiens et rejettent violemment le monde de la forêt.

Et ce fut, dans un déchirement d'ombres chargées d'orages, le premier thème de la Neuvième Symphonie. Je crus respirer, soulagé en entendant s'affirmer une tonalité, mais un rapide assoupissement des cordes, magique écroulement de l'édifice construit, me rendit à mon impatience devant la phrase en gestation. Si longtemps après avoir voulu ignorer son existence, l'ode musicale me revenait avec la masse des souvenirs que j'essayais vainement d'écarter du crescendo commencé à présent, hésitant encore et comme incertain de sa route.

Rousseau, Le Rêve, 1910, MoMa, M&M.
Comme dans Concert baroque la musique tient une grande importance. Le narrateur maîtrise aussi bien le chant grégorien que Bach ou surtout Beethoven, dont la Neuvième symphonie donne lieu à une évocation éblouissante. La musique constitue un langage vrai et sincère, porteur des grands sentiments humains. Dans ce roman paradoxal, on va dans la forêt vierge pour se rapprocher des mythes grecs et médiévaux, mais aussi de la légende de l'Eldorado – les récits d’explorateurs sont très présents. Proust, Don Quichotte, l’Odyssée, le roman est surchargé de références, notamment musicales. Et pourtant, le narrateur vit un véritable retour aux origines, quasi aux temps de la Genèse. C’est que la forêt est le lieu d’un temps mythique, échappant aux règles de l’Occident.

La majorité des lieux n'est pas nettement identifiée, ce qui fait de ce grand roman un conte sur la destinée humaine. Une note précise toutefois que l’auteur s’est inspiré précisément de certains paysages du Venezuela.

Un roman porté par une très belle langue, que j'ai beaucoup aimé, mais moins que Concert baroque que je vous encourage à lire.

Des claquements inattendus, des ondulations soudaines, des giflés sur l'eau, révélaient la fuite d'êtres invisibles qui laissaient derrière eux un sillage de pourriture trouble, tourbillons grisâtres soulevés au pied de noires écorces tachetées d'insectes.


Destination PAL – la liste complète des lectures d’été.


4 commentaires:

Dominique a dit…

un auteur lu il y a longtemps mais dont je garde un bon et vif souvenir

nathalie a dit…

Moi je l'ai découvert par hasard parce qu'on m'avait offert Concert baroque, j'aime beaucoup.

claudialucia a dit…

Un auteur que je n'avais pas apprécié particulièrement quand j'étais jeune mais je pense que mon heure est peut-être venue !

nathalie a dit…

Je n'en ai lu que deux, j'ai vraiment aimé Concert baroque ! Peut-être à cause de l'espagnol.