Alejo Carpentier, Le Partage des eaux, parution originale
1953, traduit de l'espagnol par René L. F. Durand.
Une tentative de fuite
musicale.
Le narrateur est
compositeur pour l'industrie des loisirs et de la publicité. Un peu par hasard le voici parti dans une forêt vierge
d'Amérique du Sud à la recherche d'instruments de musique anciens. Ce sera pour
lui une quête, vers son enfance, vers l'histoire de la musique et de l'humanité, vers l'amour, vers l'art.
Le narrateur est de
ces êtres très cultivés, heureux et charmés de
retrouver pleinement vivants les grands mythes universels dans le quotidien des
habitants de la forêt, Indiens, chercheurs d'or ou descendants de colons, alors même que les Occidentaux de sa classe ne voient plus que
des mots et des histoires vides de sens. Les habitants des grandes villes occidentales ont perdu
leur liberté, au profit du travail et de leurs
loisirs vides. Au début
du roman, le narrateur en vacances ne sait même plus ce qu’il doit faire à présent que son emploi du temps n'est plus prescrit. La
forêt vierge devient alors le lieu d'une plus grande vérité humaine et d’une
liberté réelle, loin des compromissions et des renoncements de tous les jours. Pour
cela, il faut se rapprocher des personnages les plus simples, car les
intellectuels sud-américains
sont fascinés par les cafés parisiens et
rejettent violemment le monde de la forêt.
Et ce fut, dans un déchirement d'ombres chargées d'orages, le premier thème de la Neuvième Symphonie. Je crus respirer, soulagé en entendant s'affirmer une tonalité, mais un rapide assoupissement des cordes, magique écroulement de l'édifice construit, me rendit à mon impatience devant la phrase en gestation. Si longtemps après avoir voulu ignorer son existence, l'ode musicale me revenait avec la masse des souvenirs que j'essayais vainement d'écarter du crescendo commencé à présent, hésitant encore et comme incertain de sa route.
Rousseau, Le Rêve, 1910, MoMa, M&M. |
Comme dans Concert baroque la musique tient une
grande importance. Le narrateur maîtrise
aussi bien le chant grégorien que Bach ou surtout Beethoven, dont la Neuvième
symphonie donne lieu à une évocation éblouissante. La musique constitue un
langage vrai et sincère, porteur des grands sentiments humains. Dans ce roman paradoxal, on va dans la forêt vierge pour se rapprocher des mythes
grecs et médiévaux, mais aussi de la légende de l'Eldorado – les récits d’explorateurs
sont très présents. Proust, Don Quichotte, l’Odyssée, le roman est surchargé de
références, notamment musicales. Et pourtant, le narrateur vit un véritable retour
aux origines, quasi aux temps de la Genèse. C’est que la forêt est le lieu d’un
temps mythique, échappant aux règles de l’Occident.
La majorité des lieux n'est pas nettement identifiée, ce qui fait
de ce grand roman un conte sur la destinée humaine. Une note précise toutefois
que l’auteur s’est inspiré précisément de certains paysages du Venezuela.
Un roman porté par une très belle langue, que j'ai beaucoup aimé, mais moins que Concert baroque que je vous encourage à lire.
Des claquements
inattendus, des ondulations soudaines, des giflés
sur l'eau, révélaient la fuite d'êtres invisibles qui laissaient derrière eux
un sillage de pourriture trouble, tourbillons grisâtres soulevés au pied de
noires écorces tachetées d'insectes.
un auteur lu il y a longtemps mais dont je garde un bon et vif souvenir
RépondreSupprimerMoi je l'ai découvert par hasard parce qu'on m'avait offert Concert baroque, j'aime beaucoup.
SupprimerUn auteur que je n'avais pas apprécié particulièrement quand j'étais jeune mais je pense que mon heure est peut-être venue !
RépondreSupprimerJe n'en ai lu que deux, j'ai vraiment aimé Concert baroque ! Peut-être à cause de l'espagnol.
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