Dan Simmons, Le Grand amant, traduit de l’américain par Monique Lebailly,
parution originale 1993, édité en France chez ActuSF.
Écrire de la poésie dans les
tranchées de la bataille de la Somme.
(Ne faites pas comme moi :
ne sautez pas le « prologue de l’éditeur » qui fait pleinement partie
du livre). Nous lisons le journal d’un lieutenant anglais, perdu dans la guerre
de tranchées de la Première guerre mondiale. Il raconte les combats, les morts,
les blessures. Il est poète et des vers viennent interrompre le cours du récit.
Il y a aussi une mystérieuse dame au parfum de violette. Ce journal aurait été
publié longtemps après la mort du jeune homme et l’éditeur vient parfois le
commenter.
C’était un bruit constant, mais il s’élevait et retombait comme les caprices, composés avec précision, d’un ressac lancé par le vent, ou le bruissement d’un million de feuilles un soir d’automne, dans le Kent. Seulement, il n’y avait rien d’apaisant ou de méditatif dans ce bruit : c’était celui d’un millier de dents grinçant sur une centaine d’ardoises ; celui d’ongles cassés grattant la terre ; c’était le sifflement et le gargouillis et les halètements grinçants des gazés luttant en vain pour respirer avec des poumons encombrés de mucosités.
C’était le bruit que faisaient nos centaines de gars blessés dans le no man’s land.
En voilà un curieux petit roman,
tout à fait déstabilisant pour le lecteur. Ce journal déchiré, plein de trous,
raconte la guerre, a priori comme d’autres témoignages. Il y est question de
l’absence d’organisation, de l’incurie des généraux, des poux, des rats qui
engraissent. Certaines scènes sont vraiment peu soutenables (elles sont mêmes
assez nombreuses), notamment à propos des gaz ou de la décomposition des
cadavres. La poésie semble y apporter une respiration. L’apparition mystérieuse
est plus inquiétante et on craint pour la vie du héros. Qui est donc l’officier
qui a écrit ces lignes au milieu des tranchées ? Le personnage principal
exprime un attachement irrépressible à la vie, parce qu’il a envie de finir son
livre et parce qu’il est dégoûté à l’idée qu’un mulot puisse vivre plus
longtemps que lui.
Beckmann, La grande opération, 1914, pointe sèche. |
C’est un roman bien sûr, mais les
poèmes sont vrais. Les notes du vrai éditeur nous permettent d’identifier les
auteurs de ces vers dont plusieurs sont morts pendant la guerre.
Un roman très troublant, car le
lecteur hésite à identifier ce qu’il a sous les yeux : un roman, un témoignage,
une reconstitution ? S’y mêlent un accent de vérité et un sentiment de
détachement, d’irréalité, de merveilleux. C’est un bel hommage rendu aux
soldats et aux poètes des tranchées, peu connus pour la plupart d’entre eux
(surtout pour nous puisqu’il s’agit de poètes de langue anglaise).
Ce que j’ai aimé, le voici :
Les porcelaines blanches, qui
rayonnent
Cerclées de bleu ; la
poussière impalpable et féérique ;
Les toits mouillés sous les
réverbères ; la croûte dure
Du pain ami ; les mets aux
saveurs multiples ;
L’arc-en-ciel ; et l’âcre
fumée bleue du bois ;
La pluie brillant en gouttes dans
la tiédeur des fleurs,
Les fleurs aussi, se courbant au
soleil,
Et rêvant des phalènes qui les
boivent sous la lune…
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