La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 5 juin 2018

Car ce fut un homme qui eut le courage, la témérité, de voler sa liberté.

Gísli Pálsson, L’Homme qui vola sa liberté, parution originale islandaise en 2014, parution anglaise revue par l’auteur, traduit de l’anglais par Carine Chichereau, édité en France par Gaïa.

C’est l’histoire d’Hans Jonathan, un mulâtre né esclave en 1784, dans une île des Antilles appartenant au Danemark. Une enfance dans les îles, une adolescence à Copenhague, jusqu’à ce qu’un procès l’oppose à sa propriétaire et qu’il décide de partir s’installer en Islande. Ce fut sans doute le premier homme noir d’Islande. Gérant d’épicerie, puis fermier, il fonda une famille, qui compte aujourd’hui de nombreux descendants.

Le parquet craque sous mes pas au 23 Amaliegade, un peu comme il y a deux cents ans quand les barons de l’industrie sucrière habitaient ici, à Copenhague, dans l’un des quartiers les plus élégants du monde colonial. Beaucoup de gens vécurent sous ce toit : blancs et noirs, comtes et baronnes européens, esclaves d’Afrique et des Indes occidentales. La vie des maîtres et des serviteurs, des personnes libres et asservies, était pour l’essentiel séparée, uniquement reliée par l’escalier en colimaçon qui raccordait les étages.

Ce n’est pas un roman. Pálsson raconte et reconstitue une histoire exceptionnelle et peu connue, répartie entre les Antilles, au sein d’une plantation où les esclaves cultivaient la canne à sucre pour le compte de leurs propriétaires danois, entre Copenhague vers 1800 où les débats sur l’esclavage commencent vaguement à poindre et entre l’Islande, alors sous dénomination danoise. Ce livre se lit très bien et à mon sens, une partie de son intérêt provient de l’ampleur du point du vue adopté. Loin de se concentrer uniquement sur Hans Jonathan, il s’intéresse à sa mère et à son père putatif, au l’ensemble du mécanisme de la traite, à la position du Danemark au sein des nations européennes, à l’économie islandaise, aux petits objets du quotidien, aux différents enfants et petits-enfants et à la façon dont ils ont appris l’existence d’un ancêtre né esclave, à la lente accession de l’Islande à l’Indépendance, etc. Cela donne un panorama complet sur une longue période et le texte aborde de nombreuses questions, en apparence anodines, mais qui, mises bout à bout, se révèlent très intéressantes.
L’occasion de découvrir un destin singulier.
 
A. Douglas, Let my people go, 1935-9 Met.
Par comparaison, Christian G. A. Oldendorp, missionnaire morave qui débarqua sur Sainte-Croix la même année, note qu’un bon cheval importé depuis New York coûtait deux cents dollars espagnols. On peut donc dire que l’esclave Emilia Regina valait l’équivalent de deux bons chevaux. À la même période, un pirate des Caraïbes pouvait demander cent dollars espagnols de compensation pour la perte d’un œil, ou pour les deux tiers d’une jambe. En d’autres termes, Emilia Regina valait aussi l’équivalent de quatre yeux ou un peu moins de trois jambes.

4 commentaires:

keisha a dit…

J'ignorais même qu'il y eut des possessions danoises aux antilles... Je fonce!

nathalie a dit…

Le Danemark a colonisé l'Islande et le Groenland (et d'ailleurs l'auteur fait très bien le lien), mais avait besoin de l'argent de la canne à sucre également !

miriam a dit…

C est tentant
Je suis toujours interrssee par cette histoire du sucre de l esclavage

nathalie a dit…

Ça se lit plutôt bien, je pense que ça te plaira.