La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 21 juillet 2018

Alors, il entrait pas à pas dans de vastes déserts.

Jean Giono, L’Iris de Suse, 1970.

Un très beau roman sur la renaissance d’un homme.
Comme dans Le Déserteur, tout commence par une fuite, même si nous ne sommes plus dans les Alpes à la frontière franco-suisse. Tringlot sort du bagne de Toulon en essayant de se faire le plus discret possible. Il marche la nuit, il se cache, il évite les chemins fréquentés. Nous saurons à la fin du récit l’identité de ceux qui le cherchent. Tringlot finit par croiser le chemin d’Alexandre et de Louiset et d’un grand troupeau de moutons qu’ils mènent là-haut, dans les alpages. Il se joint à eux – on ne le cherchera jamais parmi les moutons – et il découvre un monde. L’été sur la montagne. L’hiver venu, Tringlot se pose auprès d’un château. Il y rencontre Casagrande, un mulet, un forgeron, une baronne et l’Absente. Les rêves de brigand le quittent peu à peu, une autre vie va poindre.

« Je suis en train de disparaître », se dit Tringlot, il tâta sa barbe au menton, « comme un morceau de sure dans du café bouillant. La mort attrape d’abord ceux qui courent ; je ne cours plus ; je traîne les pieds. Je vais peut-être à trois à l’heure, sous mon chapeau et ma barbe, et sous la corporation (qui m’aurait dit que je conduirais des montons ?), caché, sous la montagne. » Il ne disait pas sur la montagne mais sous la montagne. Il avait l’impression d’entrer dans des vestibules sombres et sonores, comme au fin fond de la nuit déserte.

Il y a d’abord l’évocation de Tringlot. On ne sait pas vraiment qui il est, d’où il vient, ce qu’il a fait, ce qu’il veut. Le plus invisible possible, en quête pourtant d’un rôle, d’une mission, d’une place dans ce monde qu’il découvre. Les autres personnages ne sont pas plus loquaces. Au lecteur de relier les sous-entendus entre eux pour comprendre les passions des uns et des autres. Tout cela confine bien souvent à la folie, voire au fantastique : la nuit et la neige absorbe les silhouettes, les personnages restent enfermés des jours auprès du feu et surgissent tout à coup pour agir d'une façon que l'on croit imprévisible, mais qui montre tout simplement qu'il s'en passe des choses sous un crâne.

La débâcle de printemps était commencée depuis plus d’un mois. Des froids pesants avaient réduit la neige en poudre impalpable ; les premières risées des vents de traverse firent courir cette poussière palpitante ; sous les rafales elle flotta comme des draps arrachés à l’étendoir ; puis la bourrasque l’emporta.

Il y a également l’évocation d’une nature dure, où un homme peut être enseveli par la neige, où l’orage fait paniquer les animaux, où le vent arrive de loin pour agiter les arbres. Un monde où l’on marche la nuit sur les chemins, sans lumière, en se tenant au rocher, en craignant de tomber dans le précipice. Le lecteur découvre la vie des alpages, quand on mène le troupeau, que l’on se répartit les prairies, que l’on fait l’approvisionnement pour toute la saison, que le berger rend des comptes au comptable et aux propriétaires des bêtes. Le récit est fragmenté avec les souvenirs de la vie de brigand de Tringlot, tous les noms de complices, les rêves et les espoirs des différents personnages qu’il rencontre, exprimés de façon entrecoupés, jamais clairement énoncés. 
Nicolas de Staël, Paysage, 1954, collection privée.

Le titre est bien mystérieux. Ce n’est qu’au bout de longues pages, au hasard d’une tempête de neige, que l’on saura de quoi il retourne, mais ce n’est qu’à la toute fin que l’on comprendra pourquoi il s’applique à cette métamorphose de Tringlot.
Au chapitre des mots rares, il y a évidemment ceux des plantes, de la forge, du maquignonnage, mais aussi un rase-pet qui habille Tringlot (oui, c’est un manteau court – jolie langue, non ?).
Un très beau roman.

Ça avait l’air de quoi ? D’un bleu bizarre. Il l’avait pris d’abord, les jours d’avant, pour un ciel, un ciel bouché, puis une sorte de ciel ; et ce matin, là-bas, depuis qu’il s’était approché, ce n’était plus aérien : ni un nuage, ni de l’orage, ou de l’air, non, pas du tout, c’était comme une purée de pois, plus épaisse encore ; si épaisse qu’elle faisait ombre ; si compacte qu’elle répercutait tous les bruits et les fondait dans un écho général. Le pétillement des peupliers, les voix, les appels, le clairon d’un âne, la toux des moutons, un bêlement solitaire, la campane d’un bélier endormi, le grondement du petit fleuve qu’ils avaient passé à gué avant d’arriver et la confuse rumeur des lointains sonnaient comme dans un corridor.

Merci Annette pour la lecture. L'avis de Dominique.

2 commentaires:

dominique a dit…

Un roman que j'ai beaucoup aimé et comme toi j'ai aimé la langue
Merci pour le lien

nathalie a dit…

Un des plus réussis à mon goût (dans ceux que j'ai lus).