La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 4 juillet 2018

Il semble qu’on le voit déjà ce portrait.

Jean Giono, Le Déserteur, 1966.

Ce petit texte n’est pas un roman, mais la biographie imaginaire d’un peintre, Charles-Frédéric Brun, connu sous le nom du Déserteur. Cet homme, ce Français, a vécu pendant 20 ans dans un endroit paumé des Alpes suisses, peignant les portraits des habitants, des tableaux de dévotion, des tableaux d’église. Un art naïf qui a su toucher Giono.
Il l’inscrit dans la tradition des peintres d’ex-voto itinérants, même si rien ne l’atteste. Il met en forme les témoignages pour retracer sa vie, c’est-à-dire pas grand-chose, une cabane, un quignon de pain, des mains blanches, une capacité à manier les couleurs. Il essaie de reconstituer son trajet dans la montagne, loin des villes, des frontières et des gendarmes.

Si on s’attarde le long de ce chemin qui le mène à Nendaz, c’est que ce déserteur a l’air de s’être fabriqué une âme pendant ce temps-là ; car il reste toujours à expliquer pourquoi il n’a pas laissé de peinture de l’autre côté des Alpes. Le moindre renseignement, la moindre rencontre, le paysage, le temps qu’il fait, les bruits qu’il entend, les craintes qu’il a, l’avenir qu’il entrevoit, tout, à ce moment-là, a de l’importance. Si nous ne pouvons pas le « faire » avec ces ingrédients, rien ne l’expliquera jamais.

Giono fait preuve d’empathie et rédige une biographie de sentiment et non d’historien. J’ai tendance dans ces cas-là à préférer l’histoire, les archives et les témoignages, à la fiction, mais je reconnais que le portrait tracé par Giono est impressionnant. Il est fait tout de montagne, de mélèzes, de rochers, de chemins pierreux, de neige. C’est assez brut et plutôt réussi.
Le début du texte, surtout, est impressionnant, parce qu’il décrit l’errance d’un homme à la frontière, dans la montagne. Les granges, les églises, offrent des refuges à celui qui fuit les gendarmes. L’homme, qui n’est pas encore peintre à ce moment, ou du moins pas identifié comme tel, est simplement un vagabond qui hésite, se trompe, a peur, revient sur ses pas, croit trouver son salut. Giono inscrit son héros comme un héritier de Jean Valjean, cherchant l’évêque qui saura le sauver, fuyant le gendarme, espérant trouver le creux de rocher qui l’abritera. Cette entrée en matière qui parle de tous les fugitifs du monde est d’une grande beauté.

C.-F. Brun, Saint Maurice d'Agaune, Sion, musée
cantonal des BA, reproduction prise sur ce site.

Ce texte a été commandé à Giono par l’éditeur René Creux qui souhaitait publier un volume reproduisant les œuvres de ce peintre.

Cette couleur est en poudre dans du papier et il faut la mélanger à de l’huile de lin, et c’est déjà tout un micmac bougrement intéressant à regarder faire ; et il ne faut pas être manchot de la comprenette pour faire tout ce trafic. On se rend compte que tout ça est dosé et que tout compte fait, ce zèbre, sorti de la forêt et de la nuit, connaît son affaire. C’est un métier, somme toute, comme de faire un soulier, ou de traire, de faire un fromage, de tracer un labour, ou raboter une planche, planter un clou, etc. Ce que font les hommes. Ceci est donc un homme.

L'avis de Dominique.
Merci Annette pour la lecture ! 

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