La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 9 avril 2019

C’était moi tout seul qui élaborais un mystère à partir de rien.

Edgar Mittelholzer, Eltonsbrody, traduit de l’anglais (Guyana) par Benjamen Kuntzer, parution originale 1960, édité en France par les éditions du Typhon (ouais, ce sont des éditions marseillaises).

Le narrateur, un peintre à l’identité mal définie, se retrouve coincé pour quelques jours dans une vaste demeure ancienne, sur l’île de la Barbade. Ici vivent Mrs Scaife, une veuve (blanche), et ses domestiques (noirs). Et le vent. Tout commence quand la veuve vient demander, à 23 heures, à son hôte si vraiment tout va bien. La maison craque de toutes parts, mais oui, tout va bien. Ensuite, commencent les confidences à demi-mot, les murmures des domestiques, des odeurs étranges, des apparitions de bouts d’os, du remue-ménage dans le cimetière, etc. Mrs Scaife est-elle une folle inoffensive ou dangereuse ? Et le vent qui n’en finit pas.

Autour de nous, la maison semblait vibrer dans le bourdonnement incessant du vent à l’extérieur. De temps à autre, une fenêtre du salon émettait un râle léger, tel l’ultime filet de voix dans la gorge d’un moribond.

Nous sommes dans un récit horrifique où tout le jeu est de faire monter la tension jusqu’à ce que… jusqu’à ce qu’on ne sait pas trop quoi, car le narrateur semble à la fois peu perspicace et très doué pour se tenir à l’écart des événements les plus dangereux. Finalement, les scènes les plus horribles seront racontées avec suffisamment de détachement pour pouvoir lire le roman au lit sans faire de mauvais rêves.
J’ai trouvé le roman plutôt réussi. Une place particulière est réservée à la vieille maison – c’est elle Eltonsbrody – où le vent s’engouffre, où les meubles craquent, où les chiens et les chèvres jouent leur rôle et où les feuillages s’agitent. Le paysage est tour à tour celui du paradis (soleil et mer et végétation) ou celui d’une jungle hantée et dangereusement vivante. Le décor s’impose nettement aux personnages et l’auteur multiplie les comparaisons inquiétantes pour évoquer le bruit et l’impression produits par le vent incessant. On est visiblement dans un hommage aux grands récits baroques et aux maisons hantées britanniques, sur une variation exotique, mais tout aussi inquiétantes. Il ne m’a pas semblé innocent qu’un des personnages ait fait ses études de médecine en Écosse… L’auteur a, il me semble, privilégié le décor et l’atmosphère, plutôt que les péripéties ou les détails les plus effrayants, qui sont pourtant bien présents. 
Il suffira de quitter la demeure et peut-être l’île pour que tout sombre dans l’oubli. Tout est dans l’atmosphère.

Les fenêtres du salon jacassèrent dans une rafale soudaine, et je sentis un courant d’air glacial me remonter le long de la jambe. Même si les fenêtres étaient fermées, des bourrasques intangibles semblaient déferler avec fureur dans le vaste salon mal éclairé, fondant mystérieusement avant de nous assaillir à cette longue table sombre. De temps à autre, la flamme de la lampe vacillait et venait lécher brusquement le sommet du rempart de verre qui l’emprisonnait, comme à l’appel d’un doigt invisible ; puis elle se repliait tout aussi soudainement et redevenait stoïque, rouge et insouciante, déversant sa lumière délicate sur ses alentours avec une passivité silencieuse, presque narquoise.

Edgar Mittelholzer (1909-1965) est un auteur métis de Guyane britannique (actuel Guyana). Quelques-uns de ses romans sont traduits en français.
Niki de Saint-Phalle aurait-elle représenté Mrs Scaife ?

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