W. G. Sebald, Les Émigrants, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, parution originale 1992, édité en France par Actes Sud.
Quatre portraits, de quatre individus dont le lecteur perçoit progressivement ce qu’ils peuvent avoir de commun. Car il n’y a ni introduction ni propos conclusif pour présenter le projet de l’auteur.
Pourtant, comme je le constate de plus en plus, certaines choses ont une manière de resurgir à l’improviste, inopinément, souvent après une très longue absence.
Donc un homme rencontré par Sebald dans une petite ville d’Angleterre, dans une grande maison. Il a grandi en Lituanie, a fait de l’alpinisme avec un ami et s’est installé là. Mais peut-être que sa condition d’exilé est cause qu’il a de moins en moins de choses à partager avec son épouse.
L’instituteur de Sebald, un homme qui aime faire cours dans la nature, un anticonformiste. Bien des années après sa mort, c’est auprès d’une femme qu’il est possible de reconstituer sa vie.
Un grand oncle de l’auteur, domestique et confident d’un riche jeune homme américain à la santé mentale défaillante. Il a laissé des carnets de voyage en Europe, avant 1913, qui sont longuement cités.
Et un peintre rencontré à Manchester.
Dans ces quatre histoires, il y a des mots qui sont assez peu cités ou dits comme en passant, comme s’ils constituaient un arrière-fond diffus. L’Allemagne, l’Autriche, les juifs, la disparition d’une vie et d’un passé, un suicide, l’exil, le sentiment de perte, un refus de la vie et, moins souvent, la trop grande amitié d’un homme pour un autre homme – toutes ces choses qu’on ne dit pas, mais que l’on devine.
Ces quatre portraits permettent de tracer, à traits tout à la fois vagues et accentués, une histoire du XXe siècle tendue vers sa propre destruction. Il y a à la fois les villes ruinées de l’Allemagne et les maisons des juifs toujours debout, aujourd’hui occupées par des gens bien aimables qui ne cherchent pas à savoir. Mais la ville de Manchester n’est également que l’ombre d’elle-même, avec la fin du port et des usines, et ses hôtels vides. Étonnamment, à Deauville et aux États-Unis, les lieux fréquentés par la haute société semblent également voués à l’abandon. Il reste des photos en noir et blanc un peu floues, des carnets indéchiffrables et des gens qui acceptent de rassembler leurs souvenirs.
À travers tout cela pointe le portrait de l’auteur, dont on apprend peu de choses. Une bourse d’études en Angleterre, de l’enseignement ici ou là, une famille élargie. Il accumule les voyages et les notes, parcourt les rues, se remémore.
Comme toujours ou presque dans les rêves, les morts ne parlaient pas, et semblaient un peu contrits et abattus. Ils se comportaient en outre comme si leur condition d’exilés, pour ainsi dire, était un terrible secret de famille qui ne devait en aucun cas être dévoilé.
Giacometti, Branches dans un vase, flacons et pommes, 1957, Orsay |
Il y a des détails, comme le délai entre le moment où on prend une photo et celui où on développe une pellicule, délai qui peut être de plusieurs années. Des tissus anglais, une bouilloire qui fait réveille-matin !!! Le beau portrait de Constantinople en 1913, la visite d’une saline, l’homme à la maquette du temple de Salomon déjà présent dans Les Anneaux, une photographie du ghetto de Litzmannstadt, qui est décrite, mais sans être reproduite. Un homme (ou un enfant) avec un filet à papillons hante le livre, comme un fantôme de Nabokov. Il y a surtout l’impossibilité de partager son histoire. Les individus ont été coupés d’eux-mêmes et ne parviennent plus à retrouver une identité, un sens de la vie.
J’ai mis tous mes espoirs dans la gent trotte-menu, et aussi dans les vrillettes, horloges de la mort et perce-bois qui, à plus ou moins brève échéance, vont faire tomber en ruine ce sanatorium, lequel cède déjà par endroits en émettant des craquements sinistres.
Un climat de mélancolie et de déréliction plane sur tout cela. De l’auteur aux personnes qui habitent le livre, chacun semble un errant. Des familles ont quitté le village de leur enfance, leurs parents, leur famille pour ne plus jamais les revoir. Et leur langue qu’ils n’entendent plus. À jamais perdus dans le monde, ils refusent de reprendre pied et de faire semblant de s’inscrire dans la normalité. On ne vit pas dans la maison prévue, on s’enferme volontairement dans un asile, on perd peu à peu la vue. Ce sont ceux qui ne seront jamais à leur place. Le tout narré dans un apparent désordre, avec simplicité et humanité, dans un texte tout à fait déchirant.
Mais le plus prometteur me semblait encore le fait que les alignements de maison fussent çà et là entrecoupés de terrains couverts de ruines, car depuis que j’étais allé à Munich, rien n’était plus lié dans mon esprit à l’idée de ville, que les monticules de gravats, les murs aveugles et les trous de fenêtre donnant sur le vide du ciel.
Le billet de Miriam. Merci Eva pour la lecture. Je ne me rappelle si je l'ai déjà lu ou non ! Mais je suis décidée à lire Austerlitz. Il y a aussi un billet sur Les Anneaux de Saturne.
Quel beau livre! Pas de billet car je ne savais pas trop en parler. Mais je me promets d'un lire d'autres! Merci.
RépondreSupprimerOui moi je veux lire Austerlitz aussi !
SupprimerJ'avoue que je me suis demandé un moment comment je pouvais écrire sur le livre, avec ces 4 histoires, si différentes et en même reliées.
déchirant le mot est juste, un livre qui m'avait terrassée lors de ma première lecture à sa parution, je l'ai relu depuis et il me fait toujours le même effet très fort
RépondreSupprimerIl laisse une impression très forte, très tragique, mais à pas feutrés. Vraiment un monde si triste.
SupprimerJe souhaite assister continuer dans l univers de Sebald Austerlitz peut être
RépondreSupprimerMoi aussi !
SupprimerMerci pour ce billet. Je me promets de lire l'auteur depuis longtemps, je tourne autour, un peu inquiète. Je crois que je vais me décider cette année.
RépondreSupprimerAllez, hop, faut plonger !
SupprimerIl me faut plonger aussi dans l'univers de cet auteur :-)
RépondreSupprimerIl est tout à fait indispensable.
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