La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 12 septembre 2023

À peine eût-il accompli son dessein, qu’il eut horreur de lui-même et des moyens qu’il avait employés.

 


Matthew Gregory Lewis, Le Moine, parution originale 1796, traduction de Léon de Wailly.

 

Nous sommes à Madrid, dans une église en train d’écouter le sermon d’un religieux à la mode. Au cours des 30 premières pages, nous découvrons Antonia, jeune orpheline à la recherche de son oncle et dont tombe amoureux le noble Lorenzo, tandis qu’Agnes, la sœur de Lorenzo, religieuse chez les clarisses, donne rendez-vous à un homme et qu’un novice au couvent des Capucins ne serait autre que… (la suite en tournant la page).

Le début ressemble à une farce tandis que la fin se rapproche davantage du romantisme allemand.

Le Moine, c’est le grand-papa des romans de gare, inventé avant le train, et l’archétype du roman gothique anglais, plein de fascination horrifiée pour les mystères du catholicisme. En 250 pages, vous trouverez une nonne sanglante, un caveau plein de cadavres, le mythe de l’auberge rouge, un pacte avec le diable, sans oublier des scènes d’un érotisme torride (à sa parution sa lecture a dû entraîner l’apparition de rougeurs et de moiteurs) et d’autres d’une brutalité explicite (notamment un viol).

J’ai l’air ironique mais je l’ai dévoré en deux jours, malgré ou grâce aux invraisemblances les plus criantes. Je l’avais déjà lu quand j’étais au lycée, mais à présent je suis en mesure d’apprécier tout son ancrage dans le XVIIIe siècle européen. Je songe que la même histoire, écrite 30 ans plus tard, aurait donné lieu à une fin tragique, les héros ne surmontant jamais leur chagrin et se mourant peu à peu, mais ce n’est pas le cas ici. Le roman et les péripéties doivent continuer ; ils sont jeunes et ils s’aiment, ils se marieront.

Il y a aussi un beau récit de damnation éternelle.

 

Dadd, Scène de bacchanale, 1862 Tate

À ces mots, elle leva le bras et fit le geste de se frapper. Les yeux du moine suivaient avec terreur les mouvements de son arme. Son habit entrouvert laissait voir sa poitrine à demi nue ; la pointe du fer posait sur son sein gauche, et Dieu ! quel sein ! Les rayons de la lune, qui l’éclairaient en plein, permettaient au prieur d’en observer la blancheur éblouissante ; son œil se promena avec une avidité insatiable sur le globe charmant ; une sensation jusqu’alors inconnue remplit son cœur d’un mélange d’anxiété et de volupté.

 

Le livre est paru deux ans avant que Jane Austen n’écrive Northanger Abbey et si ce c’est ce genre de roman que lisent les héroïnes, bien des choses s’éclairent sur l’imaginaire des jeunes filles bien élevées. Pour citer Wikipedia (que j'aime cette phrase délicieuse) : "Ce roman fut censuré à son époque et figure parmi les préférés du marquis de Sade."



8 commentaires:

  1. hélas hélas je ne suis pas fan de ce type de récit j'ai encore à lire depuis des années Frankenstein mais ça ne me tente pas du tout

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    1. C'est assez différent de Frankenstein. Ici, les personnages sont esquissés et les aventures sont rapides (et incroyables) alors que dans Frankenstein c'est très introspectif avec un nombre réduit d'événement. Je comprends très bien que ces classiques te rebutent un peu !

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  2. Hé bien ma bonne dame, paru en 1796! Je n'ai pas trop envie, mais merci d'en parler. Tu l'as lu au lycée, était ce pour étudier en classe?

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    1. Mon dieu, on n'étudie jamais de truc aussi palpitant ou sulfureux au lycée. Je pense l'avoir lu dans l'édition maxilivre à 10 francs (te rappelles-tu ? On lisait tous les classiques !).

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    2. En francs? Cela ne nous rajeunit pas. J'ai bien connu ces maxilivres, on avait des classiques à pas cher

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    3. Là je l’ai lu en numérique. La traduction est du XIXe siècle donc c’est gratuit.

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  3. Il me semble l'avoir lu mais en fait je dois confondre avec Walpole

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    1. Ah cela fait un moment que je veux lire Walpole, merci de le rappeler à mon souvenir !

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