Mohamed Mbougar Sarr, De purs hommes, paru en 2018, édité en France par Philippe Rey.
Le narrateur, Ndéné Gueye, est un jeune enseignant en littérature française à l’université de Dakar. Une nuit, son amante lui montre une vidéo devenue virale. On y voit des hommes déterrer un corps du cimetière parce qu’un homosexuel n’a pas sa place en terre consacrée. Le héros réagit par le malaise et l’agacement, puis s’interroge sur la violence à l’égard de ce mort et sur le rapport de la société sénégalaise à l’homosexualité.
Pourtant, des éclats de voix au-dehors refusaient de s’évanouir : voici le chœur diffus d’un peuple fatigué, mais qui avait depuis longtemps perdu le goût de dormir. Ils parlaient, si on peut appeler ces phrases sans origine ni but, ces monologues inachevés, ces dialogues infinis, ces murmures inaudibles, ces exclamations sonores, ces interjections invraisemblables, ces onomatopées géniales, ces emmerdants prêches nocturnes, ces déclarations d’amour minables, ces jurons obscènes.
Je commence par le narrateur. Un petit intello qui se prétend moderne mais bien réactionnaire (et on en connaît). Il n’est vraiment pas sympathique. Je suppose que Sarr a volontairement forcé le trait parce qu’il tenait à ce que ne soit pas quelqu’un de bien, mais il ne donne pas vraiment envie de s’intéresser à lui.
De ce premier chapitre extrêmement violent et dérangeant émerge progressivement un roman d’apprentissage, apprentissage sur soi et sur la société. Ndéné plonge au cœur de l’homophobie de son pays, exprimant et écoutant toute la gamme de propos sur le sujet (religieux, domestique, universitaire, etc.). Plus largement, il plonge au cœur d’une société violente et obsédée par la sexualité, où l’on insulte, tabasse, tue, cache, etc. ceux qui dérangent, notamment les góor- jigéen, homme-femme en wolof, ou plus exactement tout ce qui n’est pas homme hétéro viril dominant.
Nous sommes souvent durs envers l’humanité, sa bêtise, ses fautes et sa laideur, mais nous n’avons qu’elle. Elle est notre seule vraie famille, notre unique refuge contre notre solitude.
Par sa densité (moins de 200 pages) et son intensité, le roman a quelque peu les accents d’une allégorie, ce qui justifie l’évolution très rapide (et hélas trop prévisible) du personnage. Ndéné fait des phrases mais restera seul face à la société. Il se confronte à lui-même, à son éducation, à ses croyances, mais surtout à sa vision de l’humanité. Humanité dont le lien et même l'identité seraient constitués avant tout par la violence, dit-il.
Il y a aussi une belle réflexion sur le deuil, où l’on habite son chagrin et où on accompagne le mort.
Hockney, Selon les prédictions des anciens magiciens, eau forte Tate |
L'avis d'Athalie et d'Ingannmic.
Un roman très fort et très prenant, mais j'avoue avoir préféré La plus secrète mémoire des hommes.
Une lecture commune avec Ingannmic qui a justement lu La plus secrète mémoire des hommes.
Jeudi, le blog traverse le continent.
C'est le deuxième roman que j'ai lu de cet auteur et il m'a beaucoup marquée. Je garde un souvenir très vif des deux rencontres que j'ai animée avec lui à saint Malo (dont une avec Armistead Maupin) : c'est vraiment un jeune homme captivant.
RépondreSupprimerOh ça ne m'étonne pas ! Les textes laissent deviner quelqu'un de riche et de fin. J'avoue avoir préféré La plus secrète... qui est moins sombre à mon goût, mais il n'empêche que ce titre est très fort.
SupprimerJ'arrive justement de chez Ingannmic. J'ai l'impression qu'elle également une préférence pour La plus secrète mémoire des hommes .
RépondreSupprimerOn est toujours influencé par l'ordre des titres dans lequel on découvre un écrivain, cela change aussi pas mal notre perception.
SupprimerJ'aurais tendance à lire plutôt l'autre titre (mais, hum, pas vraiment tout de suite)
RépondreSupprimerMais lis donc les deux ! Cela t'intéressera sûrement.
SupprimerJe vois que cette brièveté ne m'avait pas gênée (je viens de relire mon billet). Si je ne garde pas un souvenir très net de l'intrigue, j'ai en mémoire celui d'une lecture frappante, sans doute en raison de la violence qui traverse le texte. Terre ceinte, écrit avant celui-là, a vraiment pour le coup des allures d'allégorie, mais c'est clairement volontaire. Et des trois, c'est son dernier que j'ai préféré !
RépondreSupprimerEt je vois que nous avons choisi la même citation pour illustrer ce titre...
RépondreSupprimerOui, c'est très fort, tous les panoramas de la violence.
SupprimerJe ne l'avais pas trouvé si pédant que cela le narrateur, mais plutôt un peu cynique ... Mais comme toi, ce qui m'avait gênée était l'évolution très rapide de sa prise de conscience de la problématique homosexuelle dans son pays. A croire qu'on n' ouvre vraiment les yeux que lorsque l'on se retrouve au pied du mur ?
RépondreSupprimerJ'en ai connu des universitaires du même genre, je l'ai immédiatement pris en grippe. Cela a joué pour mon appréhension du roman.
Supprimerlu il y a quelques années, comme plus haut j'ai préféré La plus secrète, il faut que je trouve Terre ceinte
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