La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 29 mars 2011

Monika se rendit au ruisseau, en déploïdion et bonnet rouge, sur de longues jambes blanches.


Arno Schmidt, Alexandre ou Qu’est-ce que la vérité ?, traduit de l’allemand par Claude Riehl (1e éd. 1959), Auch, Tristram, 2008.

Un de mes auteurs préférés, je vous préviens. Et ce court roman est un des plus lisibles de cet écrivain allemand pas vraiment connu par chez nous, dont la langue est… comment dire, particulière.
Ici, le narrateur est Lampon de Samos, un élève d’Aristote. Il voyage sur le fleuve Euphrate avec des comédiens pour aller rejoindre son oncle, un officier de la garde rapprochée d’Alexandre.
D’abord c’est un excellent roman historique, qui a la vertu de montrer comment un roman historique est impossible à lire et à écrire. Parce qu’Arno Schmidt n’explique rien, il se déplace dans cet univers comme s’il était le sien, familier, et que le grec était nôtre. Je vous rassure, il y a un appareil de notes, mais nous sommes immergés dans l’empire en constitution sans cicerone.
Et puis, il y a la langue de Schmidt, indescriptible. Il emploie souvent un narrateur à la première personne, ce qui lui permet de mêler récit, discours et pensée. Les personnages font des apartés, pensent à part eux, commentent (et rêvent). Ils emploient les termes techniques, scientifiques, familiers, vulgaires, Schmidt aime la langue, riche et impétueuse, les mots rares. Il ne se met pas en frais pour la syntaxe et juxtapose tout cela. Au lecteur de suivre le courant. Le tout a beaucoup d’humour, les dialogues entre le naïf Lampon et les comédiens, plus délurés, leur voyage et leurs rencontres avec les soldats, avec les populations conquises, tout cela est très vivant, plein de chair selon une expression que j’emploie souvent.
Enfin, il y a un point déstabilisant. Schmidt rapproche l’empire d’Alexandre du Reich nazi : conquête des territoires et des populations, propagande, état militarisé, massacres cruels, bêtise et arrogance des généraux… une vulgaire dictature. Il ne s’agit pas d’une thèse à proprement parler, construite et argumentée mais d’une lecture orientée et inhabituelle. Cela peut sembler artificiel, mais offre un point de vue rafraîchissant sur le culte des grands hommes et fournit de bons moyens pour faire avancer le récit : les discours contradictoires s’ajoutent les uns aux autres, les faits, la légende, les commentaires, la satire. Au final, on ne sait plus très bien qui est Alexandre, quel est le rôle de l’historien ou celui du poète.

Les boutiques pleines de portraits d’Alexandre, à tous les prix et dans la façon des trois mandatés officiellement : Apelle, Lysippe, Pyrgotélès. Des statues de plâtre, des moulages, « indispensable à toute maison loyale » (subtile alternative). Et aussi l’inévitable temple d’Alexandre sur la nouvelle agora. A. comme dieu-Soleil, le célèbre grand relief circulaire ; joli et bien poli (mais nullement ressemblant, m’a dit Aristote, et « il ne faudrait jamais connaître personnellement un grand homme », quand il me donna la lettre et que je pris congé de lui. – Son menton serait plus massif et toute sa silhouette très grossière.). Ici on plante partout des « palmiers d’Alexandre » ; dans nos cités grecques, ils ont les oliviers sacrés. Dommage qu’on se livre à de tels excès avec ce grand homme. « Mais c’est lui qui veut qu’il en soit ainsi ; c’est lui qui l’a ordonné », marmonna Hipponax. « Oui », reconnus-je en riant et en soupirant, « – pour être plus précis : c’est le peuple qui veut qu’il en soit ainsi. Pour lui la grandeur ne se conçoit que voyante et grotesque. » « Ne ferait-on pas mieux peut-être », objecta-t-il prudemment, « de le représenter avec vraisemblance, non – ? » Je me renfrognai ; oui, oui, en soi il a raison. Bien sûr.

Gloire à Tristram pour ces traductions ! Ce portrait d'Alexandre coiffé d'une tête d'éléphant est une monnaie conservée à Berlin, au Münzkabinett (SMPK).


4 commentaires:

  1. Un livre fait pour moi, je viens de croiser Alexandre en lisant l'histoire du fleuve Indus et je me disais qu'il me fallait élargir un peu car mes souvenirs d'histoire Grecque était un peu lointain
    un écrivain un peu à part c'est vrai mais bien tentant

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  2. Je ne sais pas si ce roman nous en apprend beaucoup sur Alexandre mais ce qui est sûr, c'est que c'est rafraîchissant. Bon, moi j'aime beaucoup, je ne peux pas être objective.

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  3. Ca me donne envie de le lire . mais j'ai une longue file d'attente en ce moment! vivement un long voyage en train

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  4. Ysa : c'est un roman très court, 70 pages, il ne prendra pas trop de temps. Et il est prêtable, bien entendu.

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