Gao Xingjian, La Montagne de l’âme, traduit du chinois par Noël et Liliane Dutrait (1e éd. 1990), La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1995.
Un livre étrange, sans doute trop long, mais qui ne prend ses qualités que sur la longueur… 600 pages composées de chapitres très courts, où alterne un narrateur au « je » et un narrateur au « tu », qui ne sont qu’une seule et même personne, qui cherche à mieux se connaître en se parlant à soi-même, en mettant à nu son intériorité et sa faiblesse. D’un côté un écrivain dont on comprend progressivement qu’il préfère se faire oublier de Pékin et de son autorité, qui parcourt le pays, à la recherche de vieilles coutumes, des sorciers, des prêtres, des sages de toutes ethnies, qui ont réussi à survivre à la Révolution culturelle. De l’autre un homme qui raconte des histoires, en invente, en recueille, en compagnie d’une jeune femme rencontrée au bord d’un fleuve, alors qu’elle allait sans doute se suicider. Les deux sont à la recherche d’une mystérieuse Montagne de l’âme, on ne sait pas bien pourquoi.
La première impression est celle d’un apaisement. Nous allons sur les routes de Chine, chez les campagnards, dans les forêts, au bord des fleuves, au rythme des histoires de sorcières et de brigands. Progressivement, un malaise s’installe, face à ce narrateur, un peu perdu dans la vie. Les dialogues avec la jeune femme insistent sur le fait que l’amour entre les hommes et les femmes est impossible : les premiers ne veulent que posséder les secondes, qui ne parviennent pas à exprimer leur attente. Impossible de savoir où est la réalité : malaise, incompréhension, manipulation. Et ce périple paraît ne jamais pouvoir finir, dépourvu qu’il est de tout but. Le narrateur est finalement désespérément seul dans le train qui le ramènera à Pékin.
La Chine de cette période est un pays en mille morceaux : le passé lointain a été détruit par la Révolution culturelle mais la plupart des personnages ont été enfants pendant ces années troubles, voire ont grandi en camps de rééducation, et leurs souvenirs d’enfance sont ceux de la guerre. Le début du boom économique est à nouveau en train de tout faire disparaître : les temples, les pandas, les forêts anciennes, les paysages (le barrage des Trois Gorges est souvent mentionné) et les lieux de l’enfance.
La brume flotte à un mètre du sol et s’ouvre devant mes pas. De la main, je l’agite en reculant, comme s’il s’agissait de fumée. Je cours un peu à sa poursuite, mais je n’arrive pas à l’attraper et elle m’effleure seulement. Devant moi, le paysage s’estompe. Les couleurs s’effacent, le brouillard monte. Je le vois nettement qui flotte en tourbillonnant. Je recule et me retourne instinctivement pour le suivre. Arrivé sur la pente, je lui échappe, quand je vois soudain à mes pieds une gorge profonde. En face, se dresse une chaîne de montagnes majestueuses, bleu pâle, couronnée de nuages blancs. L’épaisse couche de nuages roule en tous sens, mais dans la gorge, seules flottent quelques brumes qui se dissipent rapidement.
Un centre de recherches et de documentation sur Gao Xingjian. Peinture de sa "Série Noire", exposée à la Vieille Charité, à Marseille, en 2003 (carton d'invitation).
L'avis de Jimmy sur ce livre.
Ton billet me donne pourtant envie de me replonger dans la littérature chinoise.
RépondreSupprimerAh oui ? c'est curieux... j'ai une position instable vis-à-vis de ce livre. J'ai beaucoup aimé au début et puis cela m'a moins plu ensuite. Je pense que c'est trop trop long mais c'est un très beau roman quand même.
RépondreSupprimerJ'ai apprécié le style de Gao Xingjian mais j'ai eu énormément de mal a entrer dans l'histoire. Je suis restée en marge, et j'avais la sensation au fur et à mesure que j'avançais dans la lecture d'avoir raté qq chose, d'être passée à côté, ce qui me désespère toujours. Certes, les personnages sont touchants, attachants même, mais la façon dont les relations sont abordées m'a bloquée. Et puis, je suis au final du même avis, que c'est long !
RépondreSupprimerBiz
Effectivement, drôle de livre. Les relations entre les personnages n'ont rien d'évidents, les hommes, les femmes et le lecteur doutent toujours de ce qui est dit et de ce qui se passe réellement.
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