Un billet thématique qui s’inspire d’abord d’un
constat : je lis quand même pas mal de littérature allemande. Juste
derrière la française, américaine ou britannique, certes, mais ce qui fait pas
mal si je compare avec d’autres personnes. Qui sont ces auteurs ? Thomas
Mann, Günter Grass, Arno Schmidt, Herta Müller (qui écrit en allemand),
Reinhard Jirgl, Alfred Döblin et sans doute d’autres, je n’ai pas farfouillé
toute la bibliothèque.
Pourtant, on ne peut pas dire que le préjugé soit en
faveur de la littérature allemande (témoins quelques flops à mon club de
lecture). La littérature du voyage est plutôt tournée vers le soleil, ou alors
un froid hyper exotique (l’Alaska), pas juste un pays au temps pourri, ou
l’Orient lointain et mystérieux. En plus, ce pays a un passé trop lourd dont on
nous bassine les oreilles – on se doute bien que dans tout roman allemand, il y
a un petit peu de grande histoire dedans. Pas glamour.
Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est un fil que l’on
peut tirer entre quatre auteurs (que je connais, mais il y en a sans doute
d’autres) : Döblin, Schmidt, Grass, Jirgl.
D’abord la langue. Déjà dit avant-hier mais une certaine
propension à désarticuler la syntaxe et user de toute la palette en matière de vocabulaire. Est-ce que cela vient de la langue elle-même ?
Plus logique, elle serait facile à démonter et remonter ? De
l’histoire ? Après les dictatures, le besoin est grand de se réapproprier
un langage qui a été perverti. Je n’en sais rien mais je constate ce point
commun, qui ne me semble pas si présent dans la littérature française ou
américaine.
Et puis la description d’individus perdus dans une
société en déréliction.
Gerhard Kiesling, Garde d'honneur devant le mémorial des victimes du
fascisme et militarisme,
Berlin-Est, vers 1983, Allemagne, Berlin, BPK, image RMN.
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Le héros de Döblin (Berlin Alexanderplatz) circule dans le Berlin des années
30, sorti de prison, sans travail, côtoyant les bas-fonds de la ville. Autour de la
narration se trouvent le récit de faits-divers illustrant la misère de la ville
et une description incroyable des abattoirs, de la violence systématique et
banale s’exerçant sur les animaux.
Il ne pouvait pas reculer, il était allé si loin en
tramway jusqu’ici, il était libéré de prison et il fallait qu’il s’enfonce ici,
toujours plus avant.
Ça je sais, soupira-t-il à part soi, qu’il faut que
j’rentrer là-d’dans et qu’ils m’ont relâché. Fallait bien qu’ils me relâchent,
aussi, la punition était finie, c’est régulier, le bureaucrate fait son devoir.
Je rentre là-d’dans, je rentre, mais je préférerais pas, mon Dieu, j’peux pas.
Grass (comme l’explique cet article de Brigitte Pätzold*) s’attaque à
l’hypocrisie de la société allemande post-nazie et post-réunification.
J’imagine que la crise européenne actuelle ne fait qu’ajouter de l’eau à son
moulin.
Max Ittenbach, Au bord de la mer Baltique, années 50
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Schmidt, lui, écrit pendant la Guerre froide et s’en
prend à la bourgeoisie de l’Allemagne de l’Ouest, qu’il tourne en dérision, à
sa médiocrité, à son culte médiatique. Le narrateur de Cœur de pierre est une sorte de bouffon à l’ancienne mode, savant,
maniaque, grotesque. Le langage des élites politiques est moqué, car gonflé et
dépourvu de sens.
« Je peux écouter les nouvelles avec
vous ? » : bien
sûr ! : il me conduisit aussitôt à la cuisine. Adenauer-Friedländer
en était de nouveau à son oratio pro domo. (Tout politicien veut
royauter ! Vous pouvez me raconter tant que vous voudrez combien vous êtes
peinés d’être « obligés de réarmer » !) Blank forgeait son code
des armées. Encore plus de béni-oui-oui. Accidents de la circulation et sport
dans un mélange de banalité démoniaque. Beromünster de son côté décrétait
« confédérativement » la chose suivante : « Tout étrancher
qui raiside raiculièrement dans le pé-yi…… », et nous, de nous esclaffer
en opinant : devra donc porter la raie au miiilieu.
La bonne nouvelle est dans le dernier numéro du Magazine littéraire : l'éditeur Tristram se dirige vers une édition intégrale, avec traduction nouvelle de l'oeuvre Schmidt. Je vais pouvoir compléter ma collection.
La bonne nouvelle est dans le dernier numéro du Magazine littéraire : l'éditeur Tristram se dirige vers une édition intégrale, avec traduction nouvelle de l'oeuvre Schmidt. Je vais pouvoir compléter ma collection.
Gert Koshofer, Drapeaux de la RDA dans la Bölschestrasse
Friedrichshagen, Berlin-Est, 1986, Allemagne, Berlin, BPK,
image RMN
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Jirgl décrit le Berlin des années 2000 avec les échecs de la réunification : les anciens Allemands de l’Est ne trouvent pas leur place dans la nouvelle Allemagne, trop vieux, ou, s’ils y parviennent, c’est avec mauvaise conscience. Les anciens Allemands de l’Ouest appliquent leur culte de l’argent, leur moralisme, leur goût pour le nouveau et le clinquant et leur bonne conscience au nouveau pays.
Déjà je cherche à rassembler mes forces vocales – : Quand une question pâteuse sortie du cercle des visiteurs vient interférer : – ?De kwoa t’ait’ en fé vot’e liv’e. – La femme qui a posé la question avale son morceau, les yeux ronds de l’arrière-goût de pâte-&-crème-de-fromage & des innombrables tas de littérature ordinaire. – – !Oui – Annoncez !la couleur – Dites-nous donc pour commencer quelque chose sur votre livre – :Quelques voix venues du salon. Au lieu d’agir, leur envie est toujours de causer : causer musique au lieu de !l’écouter – causer sexe au lieu de le !pratiquer – au lieu de !lire, causer des livres – :Des plantes issues des semis du Jactocento.
Pas de conclusion mais je vous encourage vraiment à découvrir ces
romanciers pas facile à lire mais qui parlent si finement de leur pays.
* texte signalé par Catherine, merci !
Je pense que tu as raison : c'est une littérature pas facile à lire, et qui doit, en plus, souffrir de la traduction.
RépondreSupprimerC'est une littérature que je connais mal, mais j'ai aimé tout ce que j'ai lu (ou plutôt le peu que j'ai lu) comme "Berlin Alexanderplatz" et "La leçon d'Allemand". Deux coups de coeur !
RépondreSupprimerJe ne connais pas La Leçon d'allemand. Mais Grass est plutôt aisé à lire par rapport aux trois autres que je cite. J'avoue être un peu militante sur le sujet.
RépondreSupprimerQue de choses à découvrir! Vive la littérature allemande, depuis Les Souffrances du Jeune Werther (que je relis de temps en temps) jusqu'au prodigieux Heinrich Böll (Portrait de groupe avec dame, un des plus beaux livre que je connaisse) en passant par Thomas Mann et Gunther Grass aussi. Je ne trouve pas les allemands plus difficiles que d'autre, mais ils sont moins légers. Ils nous reposent en un sens de cette littérature de gare sans contenu mais easy qui envahit les libraires et les prix littéraires, et qui nous laisse toujours un arrière goût de temps gaspillé.
RépondreSupprimerJe conseille un très beau livre, malheureusement épuisé (mais on le trouve d'occasion) : La Jeune fille en soie artificielle d'Irmgard Keun, très beau portrait de femme...
Je note Böll et Keun que je ne connais pas. Soyons clairs : je ne passerais pas mon temps à lire Schmidt et Jirgl, mon plaisir vient de la variété et de l'alternance. Esthétique de la diversité.
RépondreSupprimerOui, Schmidt, il faut quand même être d'attaque! Pour Keun et Böll, je suis formel. Que me conseillez vous de Christa Wolf que je ne n'ai pas lue?
RépondreSupprimerC'est un jarre votre totem?
Il faut être en forme pour Schmidt mais Jirgl est bien pire, si je puis dire. D'où ce billet général pour réunir ces écrivains.
RépondreSupprimerJe n'ai lu qu'un livre de Christa Wolf, Trames d'enfance : http://chezmarketmarcel.blogspot.com/2011/09/avons-nous-besoin-dun-garde-fou-contre.html
Elle essaye de reconstituer par la mémoire son enfance sous le régime nazie en essayant pour le moindre élément de déterminer ce qui était su/compris / accepté / ignoré du régime par la population normale. Un livre très dur mais fascinant. En revanche je n'ai lu aucun de ses livres sur la RDA mais je compte bien m'y coller un jour ou l'autre.
Le totem est une oie finlandaise pas farouche.