La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 5 février 2011

Il ne pouvait pas reculer, il était allé si loin en tramway jusqu’ici, il était libéré de prison et il fallait qu’il s’enfonce ici, toujours plus avant.

Alfred Döblin, Berlin Alexanderplatz, traduit de l’allemand par Olivier Le Lay, Paris, Gallimard, 2009 (édition originale 1929).

  Le roman culte des Berlinois. Quelque chose qui relève de l’Ulysse de Joyce ou de Céline, qui met en scène la ville, la rue, le peuple et qui crée la langue qui va avec.
L’histoire : Franze Biberkopf sort de quatre années de prison (il avait tué sa petite amie) et jure de rester honnête. Cela n’est pas si facile… Il passe de petit boulot en petit boulot (vendeur de journaux, démarcheur à domicile), rencontre des femmes, se fait ses amis dans les bistrots, se mêle un peu de politique et puis s’en éloigne bien vite. Il ère dans la ville et tourne autour de l’Alexanderplatz, comme le centre névralgique, le nœud bouillant de vie, où tout arrive.

Le début :
Il se retrouva devant les portes de la prison de Tegel et il était libre. Hier encore là-derrière dans les champs il binait les pommes de terre avec les autres, en habit de forçat, maintenant il allait dans un manteau d’été jaune, là-derrière ils binaient, il était libre. Il laissait passer un tram après l’autre, appuyait le dos contre la muraille rouge et ne partait pas. Le surveillant qui allait et venait devant les portes passa plusieurs fois près de lui, lui indiqua son tramway, il ne partait pas. Le moment effroyable était (effroyable, Franze, pourquoi effroyable ?), les quatre années étaient passées. Les battants de fer noirs qu’il contemplait depuis un an avec un dégoût croissant (dégoût, pourquoi dégoût) s’étaient refermés derrière lui. On l’exposait de nouveau. Au-dedans les autres menuisaient, laquaient, triaient, collaient, en avaient encore pour deux, cinq ans. Il était à l’arrêt du tramway.




Vivre, c’est s’exposer, c’est être exposé. Impossible de tenir ses bonnes résolutions, d’essayer de mener sa barque bien tranquillement, Franze se retrouve embarqué dans des histoires qui le répugnent et le font retomber lourdement. Il n’est même pas soutenu par son auteur :

Livre troisième.
Ici, Franz Biberkopf, l’honnête, l’homme de bonne volonté, reçoit le premier coup. On le trompe. Le coup porte.
Biberkopf a juré qu’il serait honnête, et vous avez vu comme des semaines durant il l’est resté, mais ce n’était qu’un délai de grâce en vérité. La vie à la longue trouve cela trop clément, et lui fait un croc-en-jambe sournoisement. Lui, Franz Biberkopf, ne trouve pas cela franchement chouette, et pendant un certain temps, de cette vie ignoble, dégueulasse et contrariant les meilleures intentions, il en a par-dessus la tête.
Pourquoi la vie procède ainsi, il ne le saisit pas. Il doit encore aller un long chemin, avant que de le voir.


Un libre que l’on lit en fredonnant l’Opéra de quat’sous...

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