Le challenge romantique |
J’ai d’abord découvert le
romancier avec Le Capitaine Fracasse
(1863), ce splendide roman d’aventures, que mon imagination avait emmêlé avec
les images du film Le Bossu, dans
un tourbillon de capes et d’épées. Et à la fin du Capitaine Fracasse j’ai pleuré parce que… je ne le dis pas, j’en
connais qui ne l’ont pas encore lu ! Un roman dont je sais que je le
relirai plus tard…
JB Clésinger, T. Gautier, vers 1851
fusain, pastel, château de
Versailles, image RMN
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Des années plus tard, j’ai lu la préface à Mademoiselle de Maupin (1835). La préface, oui, manifeste de l’inutilité de l’art, refusant l’embrigadement religieux, moral, social, politique :
Non, imbéciles, non, crétins et goitreux que vous êtes, un livre ne fait pas de la soupe à la gélatine ; - un roman n’est pas une paire de bottes sans couture ; un sonnet, une seringue à jet continu ; un drame n’est pas un chemin de fer, toutes choses essentiellement civilisantes,e t faisant marcher l’humanité dans la voie du progrès.
(je dédicace ces lignes à ceux qui s’imaginent que seuls les contemporains connaissent l’art de la provocation)
Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. – L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines.
Th.
Gautier, Caricatures de Théophile Gautier, JulesJanin et Paul de Saint-Victor (Le public
d'une première), crayon noir, Paris, bibliothèque de l'Institut, image RMN. |
J’ai enchaîné avec Mademoiselle
de Maupin bien sûr, petit bijou précieux,
rêvassant sur les charmes de l’androgynie, sensuel et érotique, un conte où
l’artificiel est à tel point
développé que c’est de l’art.
À peu près dans le même temps,
j’ai lu la critique d’art de Gautier. Il avait d’abord voulu être peintre avant
de se tourner vers les lettres et était donc un des rares critiques d’art à
posséder une compétence technique. Gautier a tenu la critique de la culture
durant toute sa vie : peinture, sculpture, théâtre, poésie, danse. Son
grand maître était Ingres et on ne peut s’empêcher d’établir des liens entre la
poésie de Gautier et les femmes au cou de cygne, à la peau de marbre et au
regard immobile et mystérieux du peintre de Montauban.
Ingres, La Baigneuse, Bayonne, musée Bonnat,
image RMN.
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Bien évidemment, comme pour tous
les critiques, on peut s’amuser à relever les talents qu’il a lamentablement
loupés, c’est si facile. Mais je préfère ces lignes émouvantes de celui qui fut
le premier des romantiques et qui découvre les premiers impressionnistes :
On se tâte avec une sorte
d’effroi, on promène sa main sur son ventre et sur son crâne pour savoir si
l’on est devenu obèse ou chauve, incapable de comprendre les audaces de la
jeunesse… Chacun se dit : « Suis-je vraiment une ganache, une
perruque, un être momifié, un fossile antédiluvien…. On pense à l’antipathie, à
l’horreur qu’inspirait, il y a une trentaine d’années… les premières peintures
de Delacroix, de Decamps, de Boulanger, de Scheffer, de Corot, de Rousseau, si
longtemps exilés du Salon… Les scrupuleux se demandent en face de ces exemples
frappants si l’on ne peut comprendre autre chose en art que les œuvres de la
génération dont on est contemporain, c’est-à-dire celle avec laquelle on a eu
vingt ans… Il est probable que les tableaux de Courbet, Manet, Monet, et tutti
quanti renferment des beautés qui nous
échappent à nous autres anciennes chevelures romantiques, déjà mêlées de fils
d’argent. » (1868)
Albert Besnard (1849-1934) La Première d'Hernani, Paris, musée Victor Hugo, image RMN
Gautier avec son gilet rouge était à la première d'Hernani pour défendre Hugo contre la claque...
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Quelques mois plus tard, j’ai
entamé la lecture du recueil Émaux et Camées (1852). J’aimerais vous citer plusieurs poèmes (laisser la parole aux
mélancoliques obélisques, faire le tour amusé de l’Hermaphordite du Louvre, aller au Carnaval de Venise, se promener
au milieu des statues du parc de Versailles…) mais j’ai dû en choisir un :
Cærulei oculi*
Une femme mystérieuse,
Dont la beauté trouble mes sens,
Se tient debout, silencieuse,
Au bord des flots retentissants.
Ses yeux, où le ciel se reflète,
Mêlent à leur azur amer,
Qu’étoile une humide paillette,
Les teintes glauques de la mer.
Dans les langueurs de leurs prunelles,
Une grâce triste sourit ;
Les pleurs mouillent les
étincelles
Et la lumière s’attendrit ;
Et leurs cils comme des mouettes
Qui rasent le flot aplani,
Palpitent, ailes inquiètes,
Sur leur azur indéfini.
(…)
* De couleur bleue
Carnet du premier voyage en Espagne (5 mai-octobre 1840) : conjugaisons
Paris, bibliothèque de l'Institut, image RMN.
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Il me reste à lire d’autres
romans, des nouvelles, d’autres poésies. Le Voyage en Espagne a récemment rejoint ma bibliothèque… encore plein de
longues lectures avec Gautier.
Le site officiel de Théophile Gautier
Le site officiel de Théophile Gautier
Tu les connais peut-être, " Les contes humoristiques " de Théophile Gautier sont passionnants ... j'ai aimé surtout " L'âme de la maison " parce qu'il y est question d'un grillon dans le foyer !
RépondreSupprimerMerveilleux Gautier, et ton article est beau aussi !
Merci Grillon ! Je ne connais pas encore ces contes, mais je note.
RépondreSupprimerEt aussi sa biographie de Balzac!
RépondreSupprimerJe n'ai lu que le capitaine Fracasse, Le roman de la momie et Mademoiselle de Maupin mais j'aime beaucoup.
J'ai appris récemment qu'il a aussi versé dans l'érotisme. J'ai bien envie d'aller me renseigner!
Oui j'ai aperçu du coin de l'oeil cette biographie, peut-être une bonne idée...
RépondreSupprimermademoiselle de maupin est un livre que j'aime beaucoup pour sa langue et son inventivité!
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