José Luis Peixoto, Le Cimetière de pianos, traduit du portugais par François Rosso, 1e
éd. 2006, Paris, Grasset 2008.
À l'heure de mettre la table nous étions cinq :
Mon père, ma mère, mes sœurs et moi,
Puis ma grande sœur s’est mariée,
Puis ma petite sœur s'est mariée ,
Puis mon père est mort.
Aujourd'hui à l'heure de mettre la table nous sommes
cinq :
Moins ma grande sœur qui habite dans sa maison
Moins ma petite sœur qui habite dans sa maison
Moins mon père qui est mort, moins ma mère veuve.
Chacun de nous est une place vide à cette table où je mange
seul, mais ils seront toujours là
À l'heure de mettre la table nous serons toujours cinq
Tant que l'un de nous sera vivant nous serons toujours
cinq.
Une histoire de père en fil où seuls les hommes
parlent :
Un qui est mort, le père, mais qui raconte : beaucoup
sur le futur des vivants, et trop peu sur son père à lui. Un autre qui parle
ensuite et qui meurt lui aussi, c'est le fils pendant qu'il court le marathon
des Jeux olympiques de Stockholm en juillet 1912, Francisco Lazaro (c'est un personnage historique, mort au cours du marathon des J.O de Stockholm en 1912).
Une famille de gens pauvres, enfin pas très pauvres, des
gens « de modeste condition », des artisans : leur histoire en
boucle comme le poème où les absents sont remplacés de manière identique par
les nouveaux de la famille avec des maillons manquants dans la transmission de
l'histoire, du savoir, des savoirs, des désirs frustrés. Les hommes parlent et
les femmes sont silencieuses. Mais elles sont présentes, elles souffrent, elles
font l'amour, elles mettent le feu, elles se bagarrent : elles assument
les désordres du désir.
Il y a les enfants qui sont encore dans l'innocence et qui
courent comme une guirlande heureuse tout le long du roman. Il y a les
sacrifiés de génération en génération : généralement les aînés. Hommes ou
femmes, sacrifiés par les coups d'un sort répétitif et lancinant ils subissent
l'injustice sans révolte, sacrifiés aux autres.
Une histoire de l'amour entre des gens mais un amour sans
histoire, sans dramaturgie, un peu comme dans une tragédie grecque où tout est
joué d'avance. Il y a des flambées mais elles sont sans issue et leur objet est
lui aussi sacrifié.
Édouard Boubat, Portugal, 1959
Paris, musée national d'Art moderne, image RMN
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Sortir de là où on est ? Par la musique ? Par la
course ? par la facture de piano ? Non, c’est impossible : on
meurt dans l'inachèvement. Les pianos sont enterrés. Un roman des pauvres gens
qui ne sont pas révoltés qui sont toujours présents qui se soumettent ou qui
sont victime de la destinée.
Des mots simples pour la description des intérieurs simples,
des villes, du quartier – Benfica – un faubourg ouvrier de Lisbonne, pour
traduire la violence des désirs, la force des espoirs , l'écrasement des
déceptions, une résignation digne, mais toujours la puissance d'un amour
indéfectible. Un récit haletant au fil de kilomètres du marathon dans la
touffeur de juillet où le souffle manque où la pensée s’arrête, tressaute, et
reprend pour dire les même choses : force de la passion , inéluctabilité
de la destinée, et pour compléter ou répéter sur un mode différent le récit
premier, celui du père.
Un roman sur lequel le temps n'a pas de prise : pas de
datage précis, pas de détails d'époque ou des détails trompeurs qui mélangent
les époques. Pour mieux évoquer l'involution, le cycle. Et toujours ce thème
repris dans le poème : continuer à faire vivre, à passer la vie en ne se
détournant pas, en se vivant dans une lignée .
José Luis Peixoto a 38 ans. Il est originaire d'un petit
village de l'Alentejo au Portugal. Le poème cité se trouve dans le roman et il a été lu en portugais par l'auteur lors de
la manifestation Ecrimeds en
décembre 2011 à Marseille.
C'était une lecture et un billet d'Ysabel.
Très beau et émouvant ce texte, je crois que je vais lire ce bouquin.
RépondreSupprimerOui moi aussi le texte d'Ysa m'a fait craquer !
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