José Saramago, Le Voyage de l'éléphant, traduit du portugais
par Geneviève Leibrich, 1e éd. 2008, Paris, Seuil, 2009.
Un billet d'Ysabel
Pour qui ne serait pas conscient de l'importance des
alcôves, qu'elles soient sacralisées, laïques ou illégitimes, pour le bon
déroulement des administrations publiques, le premier pas de l'extraordinaire
voyage d'un éléphant vers l'Autriche, que nous nous proposons de relater eut
lieu dans les appartements royaux de la cour portugaise, plus ou moins à
l'heure d'aller au lit.
Et c'est comme ça que Dom Joao III roi du Portugal,
sur la suggestion de sa royale épouse Catherine née d'Autriche, décide d'offrir
à l'Archiduc Maximilien d'Autriche, son cousin, gendre de Charles Quint et régent du royaume d'Espagne et
déjà empereur d'Autriche (?), Salomon, éléphant d'Asie, croupissant depuis deux
ans à Belem avec son non moins croupissant cornac Subhro. « Tout n'est
pas belles-lettres sur cette terre, sire, aller rendre visite à l'éléphant
Salomon aujourd'hui est comme on le qualifiera peut-être à l'avenir un acte
poétique. C’est quoi un acte poétique demanda le roi. Nul ne sait, sire, on ne
s'en rend compte que lorsqu'il s'est produit. »
Ce long voyage depuis la péninsule jusqu'à Vienne,
capitale de l'empire, est raconté dans ses détails les plus triviaux : 3
tonnes de fourrage par jour pour l'animal et de l'eau. Un convoi de taille avec
avant-garde armée, arrière-garde armée – on ne sait jamais – des fois que des
brigands essaieraient d'enlever Salomon.
Traversée des villages, étonnement, terreur des
habitants, appel à l'autorité religieuse locale pour démêler des points épineux
de théologie : l'éléphant
est-il un dieu (le récit par le cornac du panthéon indien a enflammé l'imagination du commandant du
convoi) ? Pourquoi diable Jésus a-t-il laissé les démons sortis du possédé
s'installer dans les porcs, envoyant ces pauvres animaux se noyer ? Faux
miracles, vente de poils d’éléphant miraculeux, etc.
Quelques moments savoureux : les adieux de
Salomon à l’escorte militaire au passage de la frontière hispano-portugaise
qu'il passe en revue et dont il gratifie la tête de chacun de baisers de sa trompe.
Traversée des Alpes par le col du Brenner : les
éléphants d'Hannibal y sont bien arrivés. Oui mais il paraît qu'ils n'étaient
pas plus grands que des chevaux. Le postérieur de Salomon à l'instar des
massifs alpins se couvre d'une épaisse couche de glace et Subhro en prend plein
les mirettes, recouvert du mieux qu'il peut d'une capote en feutre. J'oublie de
dire que Maximilien a rebaptisé Salomon en Soliman (on passe d'un prénom
biblique, problématique pour les représentants de l'Église au nom d’un autre
Empereur : celui de la Sublime Porte) et Suhbro en Fritz dès qu'il a pris
possession des deux.
Ce voyage est un alibi pour José Saramago, grand
écrivain portugais, archi reconnu, prix Nobel de Littérature. À la manière des
encyclopédistes du 18e siècle suivant les tribulations de voyageurs
en terre étrangère, il s'amuse de considérations sur la relativité des codes
sociaux, la fragilité des croyances, les enjeux des pouvoirs et les pièges du
langage : « … derrière ces arbres, maintenant pour que vous puissiez
voir l'éléphant, vous devrez d'abord parler au commandant du peloton et au
cornac. Qui est le cornac. C'est l'homme qui est assis dessus. Assis sur quoi.
Sur l'éléphant pardi. Vous voulez dire que cornac signifie celui qui est assis
dessus. Je ne sais pas ce que cela signifie, je sais seulement qu'il est assis
dessus. »
Un joli livre, qu'on a envie de lire à haute
voix rien que pour rire avec
d'autres.
Une énigme : à part les virgules et les points finaux de phrases et les
majuscules de début de phrases, pas d'autres signes de ponctuation. Les
dialogues, les récits, les descriptions, tout est à la suite. Ça n'entrave pas
la lecture pour autant…
(note de M&M : j'ai essayé de respecter mais les coquilles ne sont pas exclues)
(note de M&M : j'ai essayé de respecter mais les coquilles ne sont pas exclues)
Bernaert de Rijckere, Éléphant marchant vers la droite, monté par un homme et Trois éléphants tournés vers la gauche et leur cornac, 1563, pierre noire, Paris, musée du Louvre, image RMN.
Pour répondre au point d'interrogation, Charles Quint était empereur du Saint Empire Romain Germanique. L'empereur était élu et ce n'est qu'à partir de Charles Quint que le titre s'est transmis plus ou moins héréditairement chez les Habsbourg, qui étaient archiducs d'Autriche. Le titre d'empereur d'Autriche est apparu une fois le Saint Empire a disparu, sous Bonaparte.
RépondreSupprimerVoilà en tout cas un livre que je ne connaissais pas du tout et qui me tente bien. Je m'empresse de le noter.
Bravissimo Marie ! Je crois aussi que je vais essayer de le lire.
RépondreSupprimerJe ne suis pas fan des blocs de texte lors des dialogues. Mais si il est amusant et un tantinet philosophe, je le note.
RépondreSupprimerAlex je crois que tu as parfaitement résumé ce livre !
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