Nikos Kazantzakis, Le Christ
recrucifié, paru en 1948, traduit du grec
par Pierre Amandry, Paris, Plon, 1977.
Après Alexis Zorba, j’ai lu Le
Christ recrucifié, plus fort et plus dur.
Le récit prend place à
Lycovrissi, petit village d’Anatolie, peuplé essentiellement de Grecs
chrétiens, sous l’autorité turque. Deux événements se produisent presque
simultanément qui vont tout bouleverser.
Selon une coutume ancienne, des
villageois sont chargés de faire revivre la Passion du Christ pendant la
prochaine Semaine Sainte. Choisis par les notables, ils ont un an pour
s’imprégner de leur rôle. Manolios, le jeune berger choisi pour être le Christ
vascille : doit-il se marier, ne doit-il pas maintenant donner
l’exemple ? Le colporteur choisi pour être un des apôtres peut-il
continuer à tricher un peu sur les poids ? Et Panayotis choisi pour sa
barbe rousse peut-il ne pas devenir mauvais maintenant qu’il est le
« Judas » du village ?
Presque après, des Grecs chassés
de leur village par des Turcs arrivent mourant de faim au village et demandent
à être accueillis.
Il faut partager les terres, les
récoltes. Il faut aussi partager le pouvoir et le pope Grigoris ne peut
supporter la venue d’un second pope, sorte de Moïse à la tête de va-nus-pieds,
qui pourrait lui aussi diriger les âmes. D’autant que Manolios et ses
compagnons se mêlent de donner l’exemple de la charité, faisant la leçon aux
notables.
Tout va peu à peu se dérégler.
Chaque action engagée pour aider les réfugiés désagrège un peu plus le village
en mettant à nu les oppositions au sein de la communauté. Le très riche ne veut
pas partager, les villageois les plus généreux sont montrés du doigt par les
autres, le pope Grigoris est peu à peu gagné par la seule haine.
Jaume Cascalls, Tête de Christ, 1352, Barcelone, Musée national d'art catalan, image M&M. |
Le roman met en scène toute une communauté de commerçants, l’instituteur, le riche seigneur, les familles, les bergers, le seigneur turc qui règle tout par le fouet… Comme le titre l’indique, ce roman a une vraie dimension allégorique et symbolique… il s’agit de rejouer la Passion du Christ. Mais l’accent est aussi mis sur les émotions et passions, parfois contradictoires, de chaque personnage. Manolios, troublé par les sens et son goût pour les actions éclatantes, la difficulté pour Michélis de choisir entre son clan et son besoin spirituel qui l’entraîne à tout sacrifier, le pope qui n’est pas simplement un riche égoïste et hypocrite mais un homme avide de puissance, au point de pouvoir être un homme d’action, le riche Patriarchéas et ses regrets devant son fils, l’affection que voue Yannakos à son petit âne. Ce ne sont pas des marionnettes au service d’une histoire symbolique mais de véritables personnages.
La nature a également une place
importante. Sont toujours évoqués la température, l’éclat de la lumière, la
croissance des plantes… on est dans un village paysan et cette culture imprègne
le récit. Un peu comme dans les romans de Giono où la nature est vivante,
porteuse d’un souffle divin – sans panthéisme ici.
Les trois amis baissèrent aussi la tête, saisis d’effroi. Un frisson les secoua. Ils venaient de prendre conscience du fait que Dieu rôde autour de nous, comme un lion à l’affût ; de temps en temps, on sent son haleine, on entend son rugissement, on voit dans l’obscurité briller ses yeux…
Un tout petit bémol : on sait
tout de suite que cela va finir en catastrophe même si l’on ignore de quelle
façon, même si on a pris soin de ne pas lire la désastreuse 4e de
couverture. J’apprécie quand il y a un peu plus de liberté.
C’est un roman prenant, dur et
âpre, plein de violence primitive et aussi de sérénité paradoxalement. Rien de
sucré ici.
Pendant une semaine, la Passion
du Christ et sa glorieuse Résurrection avaient jeté leur lustre sur tout le
village, remplissant chaque maison de gâteaux pascals, et d’œufs rouges. Elles
avaient rayonné sur les jardins et les avaient couverts de fleurs. Leur éclat
s’était fait sentir jusque sur les rudes caboches des paysans ; l’ivresse
en avait chassé pour quelques jours les froids calculs de l’intérêt. Pendant
une semaine, la vie, ayant rejeté le joug de ses misères, s’était faite plus
légère. Mais ce jour-là, comme une bête de somme qui secoue pesamment la tête
en renâclant, elle s’attelait de nouveau à la tâche quotidienne.
Encore un grand merci à Sylvie !
Le pari hellène |
J'ai adoré ce livre que j'ai lu aux Météores pendant la Semaine Sainte. Évidemment ce n'était pas une coïncidence!
RépondreSupprimerJe relirai certainement ce livre, mais il peut probable que je sois aussi attentive au calendrier.
RépondreSupprimerCe livre est très impressionnant. L'adaptation ciné,Celui qui doit mourir,est hélas ratée.Mais elle était difficile.
RépondreSupprimerAnonyme,c'est moi,par erreur.
RépondreSupprimerBonjour Eeguab. Il faut dire que le projet est très casse-gueule. Déjà que le roman est risqué, pas évident de concilier l'aspect symbolique et réaliste, en faisant que les personnages ne soient pas des caricatures.
RépondreSupprimerUn titre pour le moins provoquant. Dans le même genre, j'avais lu "Le Christ s'est arrêté à Eboli" quand j'étais ado, et j'avais adoré.
RépondreSupprimerLe titre est fort, le lecteur sait tout de suite qu'il aura un récit allégorique.
RépondreSupprimerLe titre est fort, le lecteur sait tout de suite qu'il aura un récit allégorique.
RépondreSupprimerJe le note ! Cette vieille "guéguerre" entre Turquie et Grèce est toujours latente...
RépondreSupprimerJe le lirai a mon retour pour ton challenge. Je l'ai en anglais. Ton billet m'a donne envie de le lire. J'aime beaucoup le style de l'auteur.
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