Lionel Duroy, L’Hiver des
hommes, Paris, Julliard, 2012.
Un livre passionnant, qu’il est
bien inutile de qualifier de « roman » comme le prétend la
couverture, on n’est pas des imbéciles.
Lionel Duroy (Marc dans le livre)
est journaliste, il s’est trouvé dans feu la Yougoslavie pendant la guerre et
juste après. Vingt ans après, il revient en Serbie. Il interroge ceux qui ont
soutenu le général Mladić, ses adjoints, camarades d’école, sa biographe. Il se
rend à Pale, petite ville de la République serbe de Bosnie, ancien village où
tout le monde se croisait, devenue une ville perdue recroquevillée sur une
identité Serbe. Ils ont perdu ou gagné la guerre, ils ont des frontières
séparées, accusés par le reste du monde de crimes contre l’humanité, convaincus
d’être le dernier rempart de l’Occident contre les Musulmans.
Duroy les rencontre, parle avec
eux, les interroge. Ce livre est très troublant car il pose concrètement la
question du témoignage et de l’histoire. La mémoire joue des tours, déforme,
transforme. On oublie des dates, on confond des lieux. Quand on n’est pas fier
de soi, il faut inventer des justifications avec sincérité. Les dialogues entre
acteurs de l’histoire et historiens font apparaître les seconds comme des
pinailleurs pénibles et froids. Mais pour la Seconde guerre mondiale, on a un
important recul historique. En gros, on sait (voir mon billet sur Christa Wolf, Trames d'enfance)
Ici, il y a moins de recul.
J’étais au collège au moment de cette guerre et encore aujourd’hui, je
comprends mal la différence entre Croates, Bosniaques, Serbes. Il y a aussi un
tribunal à La Haye et des implications économiques et politiques au travail de
la justice (entrée ou non dans l’U. E.). Les détails de l’intervention de
l’OTAN sont compliqués à saisir. Bref, confrontés au récit des acteurs, on ne
peut s’empêcher d’être troublés. Entre les mensonges pour tromper l’autre, pour
se tromper soi-même, crus sincèrement, les erreurs, les approximations… Duroy,
en tant que journaliste, possède les éléments factuels pour s’y retrouver, mais
pas nous (ou pas moi). On touche du doigt la fragilité du témoignage et la
minceur de ce qui sépare la vérité et l’erreur, le récit et l’histoire. Cette
lecture est une expérience troublante.
Wiki-carte. |
Par ailleurs, Duroy apparaît fasciné par les enfants de criminels de guerre. Il connaît ainsi l’histoire de plusieurs des descendants de dirigeants nazis, cite leurs propos et analyse leur trajectoire biographique. En venant en Serbie, il se confronte avec des enfants au prise avec une histoire familiale impossible, ce qui le ramène partiellement à lui-même. Il s’intéresse ainsi particulièrement à Anna Mladić, la fille du général, qui s’est suicidée à la fin de la guerre. Il se demande la raison de cet acte, imagine ses dernières paroles et pensées en s’appuyant sur ce qu’il sait des autres enfants de criminels.
On parcours enfin un petit pays
recouvert par la neige, recroquevillé sur lui-même, dont les routes évitent
soigneusement les villes des pays frontaliers, dont le bus contourne Sarajevo, ce
qui ramène le narrateur à sa propre solitude.
Il n’avait pas voulu déserter,
mais il avait prévenu qu’il ne tirerait pas sur les Musulmans dans les rangs
desquels il comptait de nombreux amis. « Nous, Croates, n’avons pas voulu
cette guerre, m’avait-il expliqué, ce sont les Serbes qui l’ont voulue, je ne
me laisserai pas contaminer par la haine… » Tiens, exactement ce que me
disent les Serbes aujourd’hui – cette guerre infecte et misérable est comme une
patate chaude, on se la repasse indéfiniment, personne n’en veut, personne ne
veut en assumer la responsabilité.
Une lecture passionnante. Merci à VendrediLecture et Robert Laffont.
ça me donne envie de le lire et ton billet est interéssant parce que plein d'interrogations aussi.
RépondreSupprimerJe crois que le père de l'auteur a collaboré pdt la guerre.
J'ai plusieurs de ses livres à la bib. / CHAGRINS / COLERES il y a peut-être des possessifs aux titres
ça donne envie de les lire
il y a un autre livre sur le sujetdel'auteur dont je ne m souviens jamais le nom qui a aussi récolté des témoignages au Ruanda
Je connais les livres de Jean Hatzfeld, mais Duroy parle beaucoup plus de lui et se met plus en scène (les trajets dans la montagne, le bus, la neige, la police), c'est beaucoup plus subjectif alors que dans mon souvenir Hatzfeld en rajoute peu sur les témoignages des criminels.
RépondreSupprimerSon père était effectivement collaborateur, mais les parties sur sa famille m'intéressent moins.
Je viens de commencer le chagrin (547 PAGES / Je te dirai ; des bises
RépondreSupprimerça me tente nettement moins mais on verra...
RépondreSupprimerc'est un livre étonnant, vraiment, sur son enfance avec deux portraits de ses parents incroyables .10 enfants résiliants et livrés à eux-mêmes, enfants , déscolarisés par pour pénurie financière.Incroyable!
RépondreSupprimerça me dit rien du tout, ces histoires de familles...
RépondreSupprimer!! ça parle aussi de l'époque et de l'histoire vue par une famille de droite en faveur de l'oas. Ce n'est pas seulement une histoire de famille. L'écriture est trés efficace .
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