La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 26 septembre 2012

Ce n’est plus la guerre, mais ce n’est pas la paix non plus, ici, dans notre petite république ethniquement pure.


Lionel Duroy, L’Hiver des hommes, Paris, Julliard, 2012.

Un livre passionnant, qu’il est bien inutile de qualifier de « roman » comme le prétend la couverture, on n’est pas des imbéciles.
Lionel Duroy (Marc dans le livre) est journaliste, il s’est trouvé dans feu la Yougoslavie pendant la guerre et juste après. Vingt ans après, il revient en Serbie. Il interroge ceux qui ont soutenu le général Mladić, ses adjoints, camarades d’école, sa biographe. Il se rend à Pale, petite ville de la République serbe de Bosnie, ancien village où tout le monde se croisait, devenue une ville perdue recroquevillée sur une identité Serbe. Ils ont perdu ou gagné la guerre, ils ont des frontières séparées, accusés par le reste du monde de crimes contre l’humanité, convaincus d’être le dernier rempart de l’Occident contre les Musulmans.
Duroy les rencontre, parle avec eux, les interroge. Ce livre est très troublant car il pose concrètement la question du témoignage et de l’histoire. La mémoire joue des tours, déforme, transforme. On oublie des dates, on confond des lieux. Quand on n’est pas fier de soi, il faut inventer des justifications avec sincérité. Les dialogues entre acteurs de l’histoire et historiens font apparaître les seconds comme des pinailleurs pénibles et froids. Mais pour la Seconde guerre mondiale, on a un important recul historique. En gros, on sait (voir mon billet sur Christa Wolf, Trames d'enfance)
Ici, il y a moins de recul. J’étais au collège au moment de cette guerre et encore aujourd’hui, je comprends mal la différence entre Croates, Bosniaques, Serbes. Il y a aussi un tribunal à La Haye et des implications économiques et politiques au travail de la justice (entrée ou non dans l’U. E.). Les détails de l’intervention de l’OTAN sont compliqués à saisir. Bref, confrontés au récit des acteurs, on ne peut s’empêcher d’être troublés. Entre les mensonges pour tromper l’autre, pour se tromper soi-même, crus sincèrement, les erreurs, les approximations… Duroy, en tant que journaliste, possède les éléments factuels pour s’y retrouver, mais pas nous (ou pas moi). On touche du doigt la fragilité du témoignage et la minceur de ce qui sépare la vérité et l’erreur, le récit et l’histoire. Cette lecture est une expérience troublante.

Wiki-carte.
Par ailleurs, Duroy apparaît fasciné par les enfants de criminels de guerre. Il connaît ainsi l’histoire de plusieurs des descendants de dirigeants nazis, cite leurs propos et analyse leur trajectoire biographique. En venant en Serbie, il se confronte avec des enfants au prise avec une histoire familiale impossible, ce qui le ramène partiellement à lui-même. Il s’intéresse ainsi particulièrement à Anna Mladić, la fille du général, qui s’est suicidée à la fin de la guerre. Il se demande la raison de cet acte, imagine ses dernières paroles et pensées en s’appuyant sur ce qu’il sait des autres enfants de criminels.
On parcours enfin un petit pays recouvert par la neige, recroquevillé sur lui-même, dont les routes évitent soigneusement les villes des pays frontaliers, dont le bus contourne Sarajevo, ce qui ramène le narrateur à sa propre solitude.

Il n’avait pas voulu déserter, mais il avait prévenu qu’il ne tirerait pas sur les Musulmans dans les rangs desquels il comptait de nombreux amis. « Nous, Croates, n’avons pas voulu cette guerre, m’avait-il expliqué, ce sont les Serbes qui l’ont voulue, je ne me laisserai pas contaminer par la haine… » Tiens, exactement ce que me disent les Serbes aujourd’hui – cette guerre infecte et misérable est comme une patate chaude, on se la repasse indéfiniment, personne n’en veut, personne ne veut en assumer la responsabilité.

Une lecture passionnante. Merci à VendrediLecture et Robert Laffont.

7 commentaires:

  1. catherine de Marseille26 septembre 2012 à 11:33

    ça me donne envie de le lire et ton billet est interéssant parce que plein d'interrogations aussi.
    Je crois que le père de l'auteur a collaboré pdt la guerre.
    J'ai plusieurs de ses livres à la bib. / CHAGRINS / COLERES il y a peut-être des possessifs aux titres
    ça donne envie de les lire
    il y a un autre livre sur le sujetdel'auteur dont je ne m souviens jamais le nom qui a aussi récolté des témoignages au Ruanda

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  2. Je connais les livres de Jean Hatzfeld, mais Duroy parle beaucoup plus de lui et se met plus en scène (les trajets dans la montagne, le bus, la neige, la police), c'est beaucoup plus subjectif alors que dans mon souvenir Hatzfeld en rajoute peu sur les témoignages des criminels.
    Son père était effectivement collaborateur, mais les parties sur sa famille m'intéressent moins.

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  3. Je viens de commencer le chagrin (547 PAGES / Je te dirai ; des bises

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  4. ça me tente nettement moins mais on verra...

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  5. catherine de Marseille30 septembre 2012 à 08:34

    c'est un livre étonnant, vraiment, sur son enfance avec deux portraits de ses parents incroyables .10 enfants résiliants et livrés à eux-mêmes, enfants , déscolarisés par pour pénurie financière.Incroyable!

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  6. ça me dit rien du tout, ces histoires de familles...

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  7. catherine bibliothècaire2 octobre 2012 à 13:31

    !! ça parle aussi de l'époque et de l'histoire vue par une famille de droite en faveur de l'oas. Ce n'est pas seulement une histoire de famille. L'écriture est trés efficace .

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