La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 18 décembre 2012

Il faudrait dire bicyclette une dernière fois.


Éric Chevillard, L’Auteur et moi, Paris, Les Éditions de Minuit, 2012.

Un petit bijou littéraire ? Un chef  d’œuvre du langage assurément. L’argument est simple : il s’agit d’un exercice de détestation du gratin de chou-fleur. Oui, oui, du chou-fleur. Et dans une moindre mesure, un exercice d’admiration de la truite aux amandes.
Ceci donne lieu : à des jeux délirants de comparaisons et de métaphores, à une histoire de meurtre très machiavélique, à une jolie fable autour d’une fourmi, à une attaque foudroyante de la part des fourmis, à un joyeux délire verbal qui m’a amenée à demander à Moustachu de prononcer le mot « tamanoir » (ça ne marche pas aussi bien avec « tapir »). J’espère que vous n’avez rien compris.

Elle comptait bien que j’allais m’abîmer dans le vertige des fractales et piquer du nez malgré moi dans mon assiette – le crucifère en effet est égal à lui-même à chaque étage de sa structure, la partie semblable au tout, si bien que la moindre efflorescence du chou-fleur est un chou-fleur encore ! L’enfer de la répétition, le piège du labyrinthe qui se referme sur moi, mon nez inutilement doté de flair se fracassant sur chaque degré de cet escalier en spirale et moi, de plus en plus petit et misérable, m’enfonçant irrémédiablement dans l’écœurant mystère gigogne et la fuite impossible – au bout de la perspective, derrière l’horizon, le chou-fleur encore !

R. Parry, Saint-Pol-de-Léon, vers 1942,
Paris, Médiathèque de l'Architecture, image RMN. 

Le titre fait allusion au dispositif du texte où il y a un fil rouge principal (dirigé contre le chou-fleur) où prennent place des notes abondantes où un « je » qui serait celui de l’auteur tient à marquer sa distance avec le narrateur de la diatribe. Non, non, ce type-là ne serait pas l’auteur, que les choses soient bien claires. Même si rien n’indique que les notes soient plus le miroir fidèle de Chevillard.

À ne voir que leurs visages d’hommes mûrs rongés par le souci, on devinait que l’affaire était sérieuse. Ceux-là tenaient le sort du monde entre leurs mains. Et puis non, vérification faite : deux boules de pétanque.

Ce livre, en dépit de son haute ambition littéraire, semble ne pas se prendre au sérieux et déjoue toutes les tentatives d’interprétation en les suggérant de lui-même. Il faut y ajouter quelques clins d’œil à Proust, Baudelaire et d’autres, tous très réjouissants.

Quand on voyait la tête des types qui lisaient encore, on n’osait imaginer celles des types qui avaient écrit leurs livres.


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