La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 6 février 2013

Je solliciterais dans la Compagnie du Nord-Sud un emploi d’homme de peines, même au nettoyage des machines.


 Astrid Fontaine, Le Peuple des tunnels, Ginkgo éditeurs, 2012.

Ce livre n’est ni un livre d’histoire ni un livre de témoignages, mais un peu des deux. Le sujet est passionnant : le peuple des employés de la Compagnie Nord-Sud, qui a géré pendant la première moitié du XXe siècle l’actuelle ligne 12 du métro parisien.
Fontaine a eu accès aux archives de la Compagnie et aux dossiers du personnel. Elle raconte la provenance de ces employés, passant de petits métiers disparus à celui, envié, d’employé du métropolitain, lieu de modernité, où les soins médicaux sont gratuits. La Compagnie est paternaliste et se mêle de tous les aspects de leur vie : on y lit les justificatifs de retard, les aveux de difficulté, les récriminations, les ras-le-bol… Ce livre est une plongée au cœur de la France modeste qui construit le Paris moderne : les terrassiers qui creusent dans des conditions lamentables les tunnels (qui sont toujours ceux utilisés aujourd’hui), l’alcoolisme des employés, les relations avec les voyageurs, la tuberculose, la faiblesse des salaires, leur rapport à l’autorité… la vie était rude. Cette génération a été ravagée par la Première Guerre mondiale, par les maladies professionnelles, par la pauvreté et une certaine violence des moeurs.Tout cela est passionnant car vivant, le livre s’appuyant sur de longs extraits d’archives (avec leur orthographe et leur syntaxe d’origine, c’est la parole même d’employés qui est présentée ici) et des photographies. C’est un document riche sur une époque révolue et pourtant fondatrice.

Affiche de Joé Bridge.
Marseille, Mucem, image RMN.

Un bémol : l’auteur-narratrice se met en scène en cruche naïve, ce qui est particulièrement agaçant, alors même qu’elle a su sélectionner les archives, les organiser et les analyser. Ce style soi-disant spontané n’est pas nécessaire, le matériau de base étant suffisamment riche par lui-même. Il faut donc surtout retenir les témoignages de l’époque.

Formulaire Modèle 61
Vous me faites demander le motif de mon retard du 14 juillet. Il est bien simple, aussi je me demande ce que ça veut dire de toujours demander les motifs des retards, car si je me serais réveillé à l’heure j’aurais arrivé à l’heure et vous ne devez pas l’ignorer. Mais quand on fait du rabiot, on ne vient jamais me demander le motif, aussi j’en ai marre de faire vos 61, je ne suis pas une machine à répétition.
A été licencié.

Je remercie les éditions Ginkgo pour cette lecture.


5 commentaires:

Asphodèle a dit…

Ce livre ne me tente pas mais tu nous tenterais avec un ticket de métro si on t'écoutait !!! :)

nathalie a dit…

M'enfin...

Anonyme a dit…

J'ai adoré ce livre, aussi bien le texte que les illustrations ou les photos. Le récit est fluide. Je trouve au contraire que la position d'Astrid Fontaine qui raconte son parcours au milieu de ces archives incroyables est assez ingénieuse. C'est assez rare de voir ce genre de sujet très universitaire traité de cette façon. J'aime aussi le fait qu'elle fasse revivre des personnages en les faisant parler à la première personne, et justement là, elle s'efface complètement pour laisser le lecteur face à ce groom ou à ce couple employés du Nord Sud.

nathalie a dit…

Bonjour Anonyme, je pense quant à moi que Fontaine devrait lire Le Goût de l'archive d'Arlette Farge (ou le relire) : cela lui ferait un bon modèle de méthodologie.

Anonyme a dit…

Bonjour. Pour moi l'important c'est la marge, pas la page. Et encore moins la leçon...