Histoire du monde au XVe
siècle, dirigé par Patrick Boucheron, paru
en 2009, 2 vol., en gros 1500 pages.
Un livre d’histoire qui nous fait
sortir de nous-mêmes, un truc énorme et très intéressant, rédigé par une
cinquantaine d’auteurs.
Ce que j’en retiens ? Dans
le désordre :
Le siècle des nomades en Eurasie
qui bouleversent tout le continent et une des études s’appuient sur les
analyses d’Ibn Khaldoun sur les rapports entre bédouins et État. Tamerlan et
ses descendants sont les grands acteurs du temps. La Chine des Ming qui passe
lentement d’un empire Monghol à un territoire administré par ses
fonctionnaires ; la Russie qui compose avec ces tribus qui la fournissent
en chevaux ; l’Inde (Delhi conquise en 1525 par un descendant de Gengis
Khan et de Tamerlan) ; les Turcs convertis à l’islam qui marchent sur les
traces des Arabes et conquièrent Constantinople. C’est aussi le siècle de
l’Islam : de la Chine de Zheng He (navigateur explorateur musulman) à
l’Inde, à l’Afrique.
Les études sur l’organisation
politique des territoires s’intéressent souvent aux relations entre un
prince/roi/empereur et la noblesse/aristocratie/élite d’un territoire. En effet
selon les termes de ce rapport de force se définissent, pour le premier, la
légitimité, les conditions de la fiscalité, les ressources et donc la
possibilité d’avoir une armée propre. Ici, les comparaisons entre régions européennes sont un vrai plus.
Mention spéciale pour les
Mamelouks du Caire qui ont une armée basée sur l’esclavage très efficace – un
modèle inédit.
Giovanni Bellini. Le Doge Loredan 1501. Londres, National Gallery |
La découverte de l’Amérique c’est
aussi le détournement de l’Afrique, simple gros obstacle sur la route des
Indes, qu’il s’agit de contourner le plus vite possible. L’Europe manque
complètement le continent africain mais on apprend au passage que
« sahel » signifie « rivage » : oui, au sud du Sahara,
le Sahel est la seule voie est-ouest qui permet de traverser le continent,
empruntée par tous les négociants.
À propos d’étymologie,
« okrain » (Ukraine) signifie « frontière » d’un point de
vue russe.
Et les livres du temps ?
La première bible traduite
intégralement en anglais. Le livre sacré des sikhs. Un mystérieux manuscrit
chinois avec lequel un empereur aurait pu se faire enterrer. La naissance de
l’alphabet coréen par la volonté d’un empereur (la 5e langue du Web,
vous le saviez ?). Un projet de confédération européenne pour assurer la
paix du continent avec une cour de justice et tout et tout. Thomas More et
Christine de Pizan. Léon l’Africain. Un certain Amerigo Vespucci qui annonce
que viennent d’être découvertes des régions « qu’il est permis d’appeler
Nouveau Monde » (et pas un bout de l’Asie ou le Paradis terrestre, c’est
lui qui annonce au monde européen la découverte). Amadis de Gaule, roman espagnol qui est un colossal succès de
librairie. Au point que de nombreux exemplaires sont dans les cales des bateaux
pour le Nouveau Monde et que la toponymie américaine est en partie influencée
par ce roman… c’est la lecture préférée d’un certain Don Quichotte un siècle
plus tard.
Se passe-t-il un événement réellement
mondial ? Oui, l’éruption d’un volcan indonésien en 1452 qui dérange le
climat de toute la planète et perturbe les récoltes. Mais l’être humain ne
s’est aperçu de cet événement qu’au XXe siècle après de longues analyses à la
fois des carottes glaciaires et des chroniques historiques.
Gênes, Porta soprana où se trouverait la maison de Colomb |
Le livre est finalement très
européen. C’est à la fois une limite quand on s’attend à une histoire du monde.
Et une force : car il s’agit d’études englobant des groupes de pays, des
ères culturelles, plus vastes que l’échelle nationale. Et plus
intéressant : les acteurs européens sont insérés dans leur temps. Il n’est
pas seulement question des « grandes découvertes » mais des
navigateurs portugais s’aventurant dans un monde très bien balisé par des
négociants musulmans, souvent de culture indienne, ou débarquant dans des cours
sur la côte Est de l’Afrique où ils sont loin d’être « les
premiers ». Fin de l’isolement magnifique même si quelquefois on aurait
aimé en savoir plus sur les autres régions du monde.
J’ai quelquefois eu l’impression
de juxtaposition d’essais. Mais je me serais méfiée d’un récit à toutes forces
unificateur.
L’anachronisme est un risque
constant quand on est historien, chaque événement doit être replacé dans son
contexte et interprété avec prudence.
À la fin il reste des
interrogations historiographiques : des régions entières sont décimées par
la peste à un point inimaginable et par la guerre (en Asie Centrale des
pyramides de têtes coupées) mais la surface des terres défrichées ne recule
pas, les investissements dans les villes continuent. Il s’agit donc de
souligner la solidité paradoxale de la société médiévale. J’avoue que les
questions de démographie sont passionnantes : où sont les régions les plus
peuplées ? les villes les plus importantes ? Et les plus grands
travaux d’urbanisme ? à Tenochtitlan, Jodhpur et Pékin.
Gentile Bellini, Le sultan Mehmet II, 1480, Londres, National Gallery |
La nouvelle capitale de l’empire
ottoman qu’est Istanbul à la fin du XVe siècle fourmille de dialectes et
langues – arménien, grec populaire ou lettré, turc, langues slaves balkaniques,
albanais – parlés par la population musulmane, chrétienne, et bientôt juive,
avec l’arrivée des Sépharades chassés d’Espagne en 1492 et porteurs de leur
dialecte judéo-latin. Mais à ces langages de la maison, de la rue, des
minorités, se superpose dans les usages courtois et auliques l’utilisation
combinée d’un turc osmanlï* en voie d’affinement littéraire rapide, d’un persan
de cour qui l’influence et le double dans les registres poétiques et
administratifs,e t de l’arabe coranique, sacralisé, qui les irrigue tous deux
de son empreinte conceptuelle et stylistique.
*osmanlï : nom d'une dynastie turque
Un billet fort intéressant ! Arrives-tu à tout garder en mémoire ?
RépondreSupprimerA la citadelle de Calvi, nous avons aussi la maison où Colomb est né.
Le suis ravie de cette référence car c'est un siècle qui m'attire et pour avoir lu un essai de P Boucheron sur Vinci et Machiavel je le sais tout à fait passionnant
RépondreSupprimerSyl : je ne me souviens pas de tout, non, mais au moins des questions posées et cela fait déjà beaucoup. C'est drôlement enrichissant.
RépondreSupprimerDominique : c'est vrai que Boucheron a fait des romans aussi à propos de ce siècle (mais ils m'attirent beaucoup moins).
siècle passionnant! Le livre parait tout autant. mais il faut être dispo!
RépondreSupprimerRhââââ! Je le veux!!!
RépondreSupprimerIl faut se prévoir un voyage au Japon ou quelque chose de ce goût là pour avaler les 1500 pages en effet. Ceci dit, il y a quelques passages que j'ai laissé tomber mais l'ensemble se lit bien.
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