Honoré de Balzac, La Cousine
Bette, 1846.
Du grand Balzac.
L’histoire est celle de la
famille Hulot. Le père Hector ruine sa famille en femmes et le coup de grâce
est donné quand il rencontre Madame Marneffe. La femme Adeline est la Vertu
parfaite, qui supporte tout, afin de marier au mieux ses enfants. Le fils
Victorin est un avocat qui mûrit au fil du roman et conforte sa probité. La
fille Hortense tombe folle amoureuse de l’artiste Wenceslas. Et la cousine
Bette les déteste tous et veut se venger ! Elle veut leur ruine et leur
déshonneur, et surtout elle veut les régenter.
Mentionnons dès à présent les
deux points faibles du roman à mon sens. Tout d’abord l’indécrottable sexisme
de Balzac pour qui être une vieille fille vierge est la source de tous les
maux. La deuxième source étant les cocottes. C’est fort dommage car encore une fois ses caractères féminins sont largement supérieurs à ses réflexions.
Ensuite, j’ai eu un peu de mal avec certains aspects prévisibles (c’est
l’histoire d’une chute) même si la narration comporte en réalité nombre de
surprises qui m’ont tenue en haleine.
- Oui, reprit-elle, vous voulez que cette madame Marneffe abandonne la proie qu’elle a dans la gueule ! Et comment feriez-vous lâcher à un tigre son morceau de bœuf ? Est-ce en lui passant la main sur le dos et lui disant : minet !... minet !...
Car, en effet, le récit est loin
d’être linéaire. Il y a de nombreux rebondissements par l’apparition de deus
ex machina comme le Brésilien ou Madame
Saint Estève. La douzaine de personnages qui s’agite devant nous permet pas mal
de combinaisons – quand l’un est épuisé, l’autre a toujours encore de la
ressource.
Hulot fut alors une de ces belles ruines humaines où la virilité ressort par des espèces de buissons aux oreilles, au nez, aux doigts, en produisant l’effet des mousses poussées sur les monuments presque éternels de l’Empire romain.
Les personnages surtout sont très
réussis. Si les vertueux ont l’esprit étroit, les autres peuvent être d’une
franche immoralité. Hector Hulot, incorrigible. Crevel en ancien négociant
habile, jouant son personnage, se croyant « Régence » dans un siècle
bourgeois et admirateur de César Birotteau. Madame Marneffe et son époux, tous
deux retors, habiles à manœuvrer les hommes. J’ai beaucoup aimé cette dame (en
dépit du rôle très négatif qu’elle tient, comme étant vraiment la femme de
mauvaise vie) car elle annonce les pièces de boulevard et les héroïnes pleines
de ressources, jonglant avec les hommes. Elle est superbe. Aussi Josépha, la cantatrice,
femme entretenue mais grande dame comme une vraie. Le Brésilien, farouche et
sauvage et négrier – alors que les personnages positifs sont tous qualifiés de
« républicains », qu’ils ont servi la grandeur de la France lors de
l’Empire. Le personnage de Wenceslas, le sculpteur, incapable de l’abnégation
et de la force de travail nécessaires à la création, permet à Balzac de
développer ses réflexions sur l’artiste : qui doit rester ignorer du monde
et des mondanités, qui ne peut avoir de famille et doit se consacrer uniquement
à son œuvre. Vous reconnaissez le modèle ? Et la cousine ? En
réalité, elle tient le rôle de la confidente auprès de tous les autres
personnages et grâce à cela, elle espère réunir dans sa main tous les fils de
l’histoire. Le roman n’est pas non plus dénué de mystère : car il existe
des moyens secrets de renverser le cours des événements comme dans Ferragus.
Grâce à cette stratégie basée sur l’amour-propre de l’homme à l’état d’amant, Valérie eut à sa table, tous joyeux, animés, charmés, quatre hommes se croyant adorés, et que Marneffe nomma plaisamment à Lisbeth, en s’y comprenant, les cinq pères de l’Église.
Le roman s’inscrit pleinement
dans son siècle. Sont loués ceux qui ont traversé la Révolution, qui se sont battus pour Napoléon et ont permis le rétablissement de la France après
Waterloo, ceux qui, malgré les défauts de cette monarchie constitutionnelle
bourgeoise sans grandeur, s’évertuent à bien gouverner la France. Les bourgeois
sont d’ailleurs abondamment moqués pour leur désir de singer l’aristocratie et
leur mauvais goût. Crevel a son portrait par Pierre Grassou et Josépha par
Bridau – ce qui est significatif dans la hiérarchie des artistes de La
Comédie humaine.
Depuis trois ans, l’ambition avait modifié la pose de Crevel. Comme les grands peintres, il en était à sa seconde manière.
Le roman est aussi capable
d’ironie à l’égard des romans vertueux. Comme César Birotteau est le roman d’une faillite et d’une réhabilitation,
La Cousine Bette se veut le roman
de la chute d’une famille et de son rétablissement. Ou presque. Car ça ne
marche pas si bien que ça. Et le Vice ne se repend pas toujours. De même, Bette
ourdit une terrible vengeance dont personne n’entendra jamais parler – en pure
perte donc.
La langue est alerte, volontiers
brutale à certains moments. Certaines scènes ont tous les attributs du théâtre.
Sylire trouve le roman "bien ficelé". Challenge Balzac de Marie. Et 1er kilomètre de la Destination PAL.
Pour compléter : le livre L'Artiste selon Balzac.
Ces demi-artistes sont d’ailleurs
charmants, les hommes les aiment et les enivrent de louanges, ils paraissent
supérieurs aux véritables artistes taxés de personnalité, de sauvagerie, de
rébellion aux lois du monde. Voici pourquoi : les grands hommes
appartiennent à leurs œuvres. Leur détachement de toutes choses, leur
dévouement au travail, les constituent égoïstes aux yeux des niais ; car
on les veut vêtus des mêmes habits que le dandy, accomplissant les évolutions
sociales, appelées devoirs du monde. On voudrait les lions de l’Atlas peignés
et parfumés comme des bichons de marquise.
Si l’artiste ne se précipite pas
dans son œuvre, comme Curtius dans le gouffre, comme le soldat dans la redoute,
sans réfléchir ; et si dans ce cratère, il ne travaille pas comme le
mineur enfoui sous un éboulement ; s’il contemple enfin les difficultés au
lieu de les vaincre une à une, à l’exemple de ces amoureux des féeries, qui,
pour obtenir leurs princesses, combattaient des enchantements renaissants,
l’œuvre reste inachevée, elle périt au fond de l’atelier, où la production
devient impossible, et l’artiste assiste au suicide de son talent.
Émile Deroy, Rue Saint Denis (vers 1840-46), Paris, musée Carnavalet, image RMN.
Il est dans mes listes à lire depuis un moment !! Et là, il vient de gagner des places ! :)
RépondreSupprimerMalgré le très beau prénom d'un des personnages (^o^), je crois que je ne le lirai pas : j'ai beaucoup de mal avec les descriptions de Balzac.
RépondreSupprimerAllez Lili, c'est un roman très représentatif de l'art balzacien !
RépondreSupprimerElodie : tu succombes également au beau Wenceslas ? Je te sens traumatisée par le père Goriot mais dans ce roman, ce sont surtout les réflexions sur les femmes qui sont pénibles, il n'y a pas tant de descriptions que ça.
Merci de faire vivre le challenge!
RépondreSupprimerJe ne me souviens presque plus de ce roman, encore un qu'il faudrait que je relise! l'impression majeure qui ressort de me relectures pour le challenge est que, en effet, ce pauvre Balzac était d'un sexisme indécrottable. Je ne m'explique pas que ça ne m'avait pas tellement choquée avant. Ou alors j'avais oublié.
Le truc c'est que ces personnages féminins sont plutôt bons, très réussis, très vivants et ils font (heureusement) oublier les réflexions stupides qui les accompagnent.
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