La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 8 juillet 2013

Le baron Hulot monta dans la voiture, en abandonnant mademoiselle Élodie sans lui dire adieu, comme on jette un roman lu.


Honoré de Balzac, La Cousine Bette, 1846.

Du grand Balzac.
L’histoire est celle de la famille Hulot. Le père Hector ruine sa famille en femmes et le coup de grâce est donné quand il rencontre Madame Marneffe. La femme Adeline est la Vertu parfaite, qui supporte tout, afin de marier au mieux ses enfants. Le fils Victorin est un avocat qui mûrit au fil du roman et conforte sa probité. La fille Hortense tombe folle amoureuse de l’artiste Wenceslas. Et la cousine Bette les déteste tous et veut se venger ! Elle veut leur ruine et leur déshonneur, et surtout elle veut les régenter.
Mentionnons dès à présent les deux points faibles du roman à mon sens. Tout d’abord l’indécrottable sexisme de Balzac pour qui être une vieille fille vierge est la source de tous les maux. La deuxième source étant les cocottes. C’est fort dommage car encore une fois ses caractères féminins sont largement supérieurs à ses réflexions. Ensuite, j’ai eu un peu de mal avec certains aspects prévisibles (c’est l’histoire d’une chute) même si la narration comporte en réalité nombre de surprises qui m’ont tenue en haleine.


- Oui, reprit-elle, vous voulez que cette madame Marneffe abandonne la proie qu’elle a dans la gueule ! Et comment feriez-vous lâcher à un tigre son morceau de bœuf ? Est-ce en lui passant la main sur le dos et lui disant : minet !... minet !...

Car, en effet, le récit est loin d’être linéaire. Il y a de nombreux rebondissements par l’apparition de deus ex machina comme le Brésilien ou Madame Saint Estève. La douzaine de personnages qui s’agite devant nous permet pas mal de combinaisons – quand l’un est épuisé, l’autre a toujours encore de la ressource.

Hulot fut alors une de ces belles ruines humaines où la virilité ressort par des espèces de buissons aux oreilles, au nez, aux doigts, en produisant l’effet des mousses poussées sur les monuments presque éternels de l’Empire romain.

Les personnages surtout sont très réussis. Si les vertueux ont l’esprit étroit, les autres peuvent être d’une franche immoralité. Hector Hulot, incorrigible. Crevel en ancien négociant habile, jouant son personnage, se croyant « Régence » dans un siècle bourgeois et admirateur de César Birotteau. Madame Marneffe et son époux, tous deux retors, habiles à manœuvrer les hommes. J’ai beaucoup aimé cette dame (en dépit du rôle très négatif qu’elle tient, comme étant vraiment la femme de mauvaise vie) car elle annonce les pièces de boulevard et les héroïnes pleines de ressources, jonglant avec les hommes. Elle est superbe. Aussi Josépha, la cantatrice, femme entretenue mais grande dame comme une vraie. Le Brésilien, farouche et sauvage et négrier – alors que les personnages positifs sont tous qualifiés de « républicains », qu’ils ont servi la grandeur de la France lors de l’Empire. Le personnage de Wenceslas, le sculpteur, incapable de l’abnégation et de la force de travail nécessaires à la création, permet à Balzac de développer ses réflexions sur l’artiste : qui doit rester ignorer du monde et des mondanités, qui ne peut avoir de famille et doit se consacrer uniquement à son œuvre. Vous reconnaissez le modèle ? Et la cousine ? En réalité, elle tient le rôle de la confidente auprès de tous les autres personnages et grâce à cela, elle espère réunir dans sa main tous les fils de l’histoire. Le roman n’est pas non plus dénué de mystère : car il existe des moyens secrets de renverser le cours des événements comme dans Ferragus.

Grâce à cette stratégie basée sur l’amour-propre de l’homme à l’état d’amant, Valérie eut à sa table, tous joyeux, animés, charmés, quatre hommes se croyant adorés, et que Marneffe nomma plaisamment à Lisbeth, en s’y comprenant, les cinq pères de l’Église.

Le roman s’inscrit pleinement dans son siècle. Sont loués ceux qui ont traversé la Révolution, qui se sont battus pour Napoléon et ont permis le rétablissement de la France après Waterloo, ceux qui, malgré les défauts de cette monarchie constitutionnelle bourgeoise sans grandeur, s’évertuent à bien gouverner la France. Les bourgeois sont d’ailleurs abondamment moqués pour leur désir de singer l’aristocratie et leur mauvais goût. Crevel a son portrait par Pierre Grassou et Josépha par Bridau – ce qui est significatif dans la hiérarchie des artistes de La Comédie humaine.

Depuis trois ans, l’ambition avait modifié la pose de Crevel. Comme les grands peintres, il en était à sa seconde manière.

Le roman est aussi capable d’ironie à l’égard des romans vertueux. Comme César Birotteau est le roman d’une faillite et d’une réhabilitation, La Cousine Bette se veut le roman de la chute d’une famille et de son rétablissement. Ou presque. Car ça ne marche pas si bien que ça. Et le Vice ne se repend pas toujours. De même, Bette ourdit une terrible vengeance dont personne n’entendra jamais parler – en pure perte donc.
La langue est alerte, volontiers brutale à certains moments. Certaines scènes ont tous les attributs du théâtre.
Sylire trouve le roman "bien ficelé". Challenge Balzac de Marie. Et 1er kilomètre de la Destination PAL.

Pour compléter : le livre L'Artiste selon Balzac.  

Ces demi-artistes sont d’ailleurs charmants, les hommes les aiment et les enivrent de louanges, ils paraissent supérieurs aux véritables artistes taxés de personnalité, de sauvagerie, de rébellion aux lois du monde. Voici pourquoi : les grands hommes appartiennent à leurs œuvres. Leur détachement de toutes choses, leur dévouement au travail, les constituent égoïstes aux yeux des niais ; car on les veut vêtus des mêmes habits que le dandy, accomplissant les évolutions sociales, appelées devoirs du monde. On voudrait les lions de l’Atlas peignés et parfumés comme des bichons de marquise.

Si l’artiste ne se précipite pas dans son œuvre, comme Curtius dans le gouffre, comme le soldat dans la redoute, sans réfléchir ; et si dans ce cratère, il ne travaille pas comme le mineur enfoui sous un éboulement ; s’il contemple enfin les difficultés au lieu de les vaincre une à une, à l’exemple de ces amoureux des féeries, qui, pour obtenir leurs princesses, combattaient des enchantements renaissants, l’œuvre reste inachevée, elle périt au fond de l’atelier, où la production devient impossible, et l’artiste assiste au suicide de son talent.

Émile Deroy, Rue Saint Denis (vers 1840-46), Paris, musée Carnavalet, image RMN.

5 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Il est dans mes listes à lire depuis un moment !! Et là, il vient de gagner des places ! :)

Elodie a dit…

Malgré le très beau prénom d'un des personnages (^o^), je crois que je ne le lirai pas : j'ai beaucoup de mal avec les descriptions de Balzac.

nathalie a dit…

Allez Lili, c'est un roman très représentatif de l'art balzacien !
Elodie : tu succombes également au beau Wenceslas ? Je te sens traumatisée par le père Goriot mais dans ce roman, ce sont surtout les réflexions sur les femmes qui sont pénibles, il n'y a pas tant de descriptions que ça.

Marie a dit…

Merci de faire vivre le challenge!
Je ne me souviens presque plus de ce roman, encore un qu'il faudrait que je relise! l'impression majeure qui ressort de me relectures pour le challenge est que, en effet, ce pauvre Balzac était d'un sexisme indécrottable. Je ne m'explique pas que ça ne m'avait pas tellement choquée avant. Ou alors j'avais oublié.

nathalie a dit…

Le truc c'est que ces personnages féminins sont plutôt bons, très réussis, très vivants et ils font (heureusement) oublier les réflexions stupides qui les accompagnent.