La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 16 janvier 2014

Depuis bien longtemps, mon bagage de silence est si profond que je ne pourrai jamais tout déballer.


Herta Müller, La Bascule du souffle, traduit de l’allemand par Claire de Oliveira, parution originale en 2009.

Le narrateur, un jeune homme de 17 ans, fait partie de la minorité de langue allemande de la Roumanie de 1945. Quand l’Armée rouge vient « délivrer » le petit pays, un membre de chaque famille allemande (considérée comme automatiquement nazie) est envoyé en camp pour participer à la « reconstruction » d’après guerre, en guise de représailles. Mais il s’agit bel et bien de déportation et de travaux forcés.
Il raconte d’abord la faim, la terrible faim qui habite chaque journée de ces cinq années, comment il mange de l’herbe, les pluches des patates. Il raconte aussi les travaux avec le ciment, les briques, le charbon…  Il survit en s’évadant dans la poésie, en se nourrissant de l’odeur imaginée de plats disparus, en pensant être fusillé un matin quand on aura plus besoin de lui, en pensant que sa famille l’a oublié.

Si j’avais manqué de tempérance le matin, je n’avais plus une miette de pain le soir, ni de décision à prendre. Je ne remplissais ma cuiller qu’à moitié, en aspirant à fond le contenu. J’avais appris à manger lentement, et à avaler de la salive après chaque gorgée de soupe. L’ange de la faim disait : la salive rallonge la soupe, et aller se coucher tôt raccourcit la faim.

J’ai lu plusieurs livres sur les déportations mais je n’ai jamais lu de description aussi longue et précise de la faim. Il est aussi question du froid, des poux, des cadavres qu’il faut dépouiller, des coussins faits avec les cheveux.
La mère d’Herta Müller a ainsi été déportée mais sans jamais raconter son expérience. Dans la Roumanie communiste, les souffrances des Allemands n’avaient pas leur place. L’écrivain a écrit ce livre après de longs entretiens avec Oskar Pastio, poète germano-roumain ayant connu cet emprisonnement et qui n’avait jamais pu en parler.
Le récit est bien plus concret que dans d’autres romans de Müller, mais on retrouve la capacité de sa langue à rendre vivant les objets comme la poussière de ciment. Les objets sont rares, mais ils ont une présence et une vie hautement symbolique.

Depuis longtemps, j’ai appris à mon mal du pays à garder les yeux secs.



2 commentaires:

Dominique a dit…

j'ai lu plusieurs livres de cette auteure mais celui là est vraiment mon préféré, on le lit la gorge serrée, il est dur, et le titre magnifique

nathalie a dit…

Je dois dire que c'est aussi le plus facile à lire en terme de langue et de poésie. Mais il est par ailleurs très dur à supporter.