Victor Hugo, Quatre-vingt-treize, 1874.
J’ai relu ce monument pour une
lecture commune. Hugo se penche sur un épisode des guerres de Vendée, dans une
situation qui exacerbe les passions : Gauvain est un jeune vicomte à la tête
des armées de la République tandis que son grand-oncle, le marquis de Lantenac,
dirige la guerre et la guérilla bretonne. Ajoutez Cimourdain, ancien prêtre au
cœur froid, envoyé par le Comité de Salut Public et trois petits enfants
innocents.
Une veuve, trois orphelins, la fuite, l’abandon, la solitude, la guerre grondant tout autour de l’horizon, la faim, la soif, pas d’autre nourriture que l’herbe, pas d’autre toit que le ciel.
C’est un roman où Hugo déploie
tout son talent. Je l’ai relu peu de temps après avoir lu Arthur Young et j’ai
été frappée de la différence de stature des individus. Le XIXe
siècle offre un miroir grossissant de la Révolution : les individus se
subliment tous d’une façon ou d’une autre, personne ici n’est ordinaire.
A. Loudet, Marat, 1882, Vizille, Musée d'histoire de la Révolution Le roman présente une scène entre Robespierre, Danton et Marat (mais nettement plus ténébreuse) |
L’essentiel du roman se déroule
dans les taillis de Bretagne et cette région donne lieu à de belles
descriptions. C’est une région menaçante et obscure, où l’homme se fond dans la
nature. C’est aussi le lieu des personnalités farouches, des paysans ignorants.
La mort s’y donne dans des combats guerriers. En contraste, le milieu du roman
évoque le Paris révolutionnaire : la ville est pleine de vie et de
frénésie. Les grands hommes de la Révolution y apparaissent et s’échangent des
répliques perfides. C’est l’occasion pour Hugo de rappeler tous les mots
historiques du temps. La mort parisienne est froide, c’est celle de la loi et
de la guillotine.
Danton se dressa, effrayant.
- Oui, cria-t-il ! je suis une fille publique, j’ai vendu mon ventre, mais j’ai sauvé le monde.
C’est par ailleurs un roman
hautement viril. Les hommes ont des passions nobles (la politique, la
religion). La seule femme du roman est une paysanne, une mère cherchant ses
enfants. Elle est décrite comme une bête poussée par un instinct dépassant sa
raison.
H. W. Fisk, Robespierre recevant des lettres d'amis de ses victimes menaçant de l'assassiner, 1863, Vizille, Musée d'histoire de la Révolution Je ne sais pas pourquoi un beau plumet rouge. |
Il faut tout de même dire un mot
sur la langue de Hugo, unique et reconnaissable. On peut dire vulgairement
qu’il ne craint pas d’en faire des tonnes. Et constater que les romanciers
contemporains n’osent plus cette grandeur, cet excès, craignant trop le
ridicule. Le moins que l’on puisse dire est que cela ne manque pas de panache.
Les personnages sont tous plus grands que nature et le lecteur a la sensation
de voir l’Histoire en marche, de suivre les pas d’une race de héros. Si en
théorie, les deux camps sont traités avec équité, on constate que la férocité
est plutôt royaliste et la bonté paterne républicaine, mais c’est une nuance
mince, Hugo jouant précisément à faire se côtoyer des personnalités proches.
Enfin, le décor – la campagne bretonne – est une nature fantastique et animée,
menaçante et inconnue.
Dans la blême clarté éparse, dans la noirceur des nuées, dans les mobilités confuses de l’horizon, dans les mystérieux froncements des vagues, il y avait une solennité sépulcrale.
J’ai trouvé que si la Bretagne
était très bien traitée sur le plan romanesque, c’était moins évident pour
Paris. J’ai eu l’impression que le chapitre sur la Convention était inséré
comme un passage obligé, comme un morceau de bravoure, alors même que ce qui importe
c’est la guerre des forêts.
Enfin, cette lecture fait suite
au Challenge breton et il faut
naturellement penser aux Chouans
de Balzac. Balzac est nettement romantique. Il introduit notamment un
personnage féminin, Marie de Verneuil, qui est une véritable héroïne, de façon à créer une
intrigue amoureuse. Sa vision de la Bretagne est aussi plus pittoresque. Les
personnages de Hugo m’ont semblé moins incarnés, en proie à des passions et des
idéaux forts. La Bretagne y est plus magnifiée.
Nous approchons de la grande
cime.
Voici la Convention.
Voici la Convention.
Le regard devient fixe en
présence de ce sommet.
Jamais rien de plus haut n’est apparu sur l’horizon des hommes.
Jamais rien de plus haut n’est apparu sur l’horizon des hommes.
Il y a l’Himalaya et il y a la
Convention.
La Convention est peut-être le
point culminant de l’histoire.
Lecture commune avec Claudia Lucia.
jolie lecture, c'est un roman qui déclenche chez moi un sentiment ambivalent, je n'aime pas cette période de l'histoire pourtant riche d'espoir mais la violence et le sectarisme y furent tels que brrrr je fuis
RépondreSupprimerj'ai les chouans en livre audio et j'ai envie de les écouter très prochainement
Je te suis quand tu dis que certes Hugo est grandiloquent mais quel souffle !!
Tout à fait d'accord avec toi, il en fait des tonnes mais quel panache, quelle classe! D'où la plaisanterie dans mon billet sur le repas de Noël dont tu parlais dans facebook!
RépondreSupprimerViolence et sectarisme oui mais des deux côtés et bien sûr Victor Hugo croit aux bienfaits apportés par la révolution. Il est farouchement républicain quand il écrit ce livre! (avec d'ailleurs ce que j'aime moins comme conséquence, c'est qu'il est contre le régionalisme et en particulier les langues des provinces.)
Disons que la langue de Hugo provoque en moi deux réactions simultanées : le rire et l'admiration.
RépondreSupprimerClaudia : c'est vrai, il a la hantise du moindre particularisme. Au contraire des écrivains qui ont les deux pieds dans le romantisme, qui sont cramponnés à tous les pittoresques.
J'avais adoré Les Chouans de Balzac et comme je n'ai jamais lu de romans de Hugo( oui je sais c'est impardonnable !!!!!), je tenterais de le lire celui-ci !
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