La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 10 janvier 2014

Du reste l’histoire et la légende ont le même but, peindre sous l’homme momentané l’homme éternel.


Victor Hugo, Quatre-vingt-treize, 1874.

J’ai relu ce monument pour une lecture commune. Hugo se penche sur un épisode des guerres de Vendée, dans une situation qui exacerbe les passions : Gauvain est un jeune vicomte à la tête des armées de la République tandis que son grand-oncle, le marquis de Lantenac, dirige la guerre et la guérilla bretonne. Ajoutez Cimourdain, ancien prêtre au cœur froid, envoyé par le Comité de Salut Public et trois petits enfants innocents.

Une veuve, trois orphelins, la fuite, l’abandon, la solitude, la guerre grondant tout autour de l’horizon, la faim, la soif, pas d’autre nourriture que l’herbe, pas d’autre toit que le ciel.

C’est un roman où Hugo déploie tout son talent. Je l’ai relu peu de temps après avoir lu Arthur Young et j’ai été frappée de la différence de stature des individus. Le XIXe siècle offre un miroir grossissant de la Révolution : les individus se subliment tous d’une façon ou d’une autre, personne ici n’est ordinaire.

A. Loudet, Marat, 1882, Vizille, Musée d'histoire de la Révolution
Le roman présente une scène entre Robespierre, Danton et Marat
(mais nettement plus ténébreuse)

L’essentiel du roman se déroule dans les taillis de Bretagne et cette région donne lieu à de belles descriptions. C’est une région menaçante et obscure, où l’homme se fond dans la nature. C’est aussi le lieu des personnalités farouches, des paysans ignorants. La mort s’y donne dans des combats guerriers. En contraste, le milieu du roman évoque le Paris révolutionnaire : la ville est pleine de vie et de frénésie. Les grands hommes de la Révolution y apparaissent et s’échangent des répliques perfides. C’est l’occasion pour Hugo de rappeler tous les mots historiques du temps. La mort parisienne est froide, c’est celle de la loi et de la guillotine.

Danton se dressa, effrayant.
-       Oui, cria-t-il ! je suis une fille publique, j’ai vendu mon ventre, mais j’ai sauvé le monde.


C’est par ailleurs un roman hautement viril. Les hommes ont des passions nobles (la politique, la religion). La seule femme du roman est une paysanne, une mère cherchant ses enfants. Elle est décrite comme une bête poussée par un instinct dépassant sa raison.

H. W. Fisk, Robespierre recevant des lettres d'amis de ses victimes menaçant de l'assassiner,
1863, Vizille, Musée d'histoire de la Révolution
Je  ne sais pas pourquoi un beau plumet rouge.

Il faut tout de même dire un mot sur la langue de Hugo, unique et reconnaissable. On peut dire vulgairement qu’il ne craint pas d’en faire des tonnes. Et constater que les romanciers contemporains n’osent plus cette grandeur, cet excès, craignant trop le ridicule. Le moins que l’on puisse dire est que cela ne manque pas de panache. Les personnages sont tous plus grands que nature et le lecteur a la sensation de voir l’Histoire en marche, de suivre les pas d’une race de héros. Si en théorie, les deux camps sont traités avec équité, on constate que la férocité est plutôt royaliste et la bonté paterne républicaine, mais c’est une nuance mince, Hugo jouant précisément à faire se côtoyer des personnalités proches. Enfin, le décor – la campagne bretonne – est une nature fantastique et animée, menaçante et inconnue.

Dans la blême clarté éparse, dans la noirceur des nuées, dans les mobilités confuses de l’horizon, dans les mystérieux froncements des vagues, il y avait une solennité sépulcrale.

J’ai trouvé que si la Bretagne était très bien traitée sur le plan romanesque, c’était moins évident pour Paris. J’ai eu l’impression que le chapitre sur la Convention était inséré comme un passage obligé, comme un morceau de bravoure, alors même que ce qui importe c’est la guerre des forêts.

Enfin, cette lecture fait suite au Challenge breton et il faut naturellement penser aux Chouans de Balzac. Balzac est nettement romantique. Il introduit notamment un personnage féminin, Marie de Verneuil, qui est une véritable héroïne, de façon à créer une intrigue amoureuse. Sa vision de la Bretagne est aussi plus pittoresque. Les personnages de Hugo m’ont semblé moins incarnés, en proie à des passions et des idéaux forts. La Bretagne y est plus magnifiée.

Nous approchons de la grande cime.
Voici la Convention.
Le regard devient fixe en présence de ce sommet.
Jamais rien de plus haut n’est apparu sur l’horizon des hommes.
Il y a l’Himalaya et il y a la Convention.
La Convention est peut-être le point culminant de l’histoire.

Lecture commune avec Claudia Lucia.

4 commentaires:

Dominique a dit…

jolie lecture, c'est un roman qui déclenche chez moi un sentiment ambivalent, je n'aime pas cette période de l'histoire pourtant riche d'espoir mais la violence et le sectarisme y furent tels que brrrr je fuis
j'ai les chouans en livre audio et j'ai envie de les écouter très prochainement
Je te suis quand tu dis que certes Hugo est grandiloquent mais quel souffle !!

claudialucia a dit…

Tout à fait d'accord avec toi, il en fait des tonnes mais quel panache, quelle classe! D'où la plaisanterie dans mon billet sur le repas de Noël dont tu parlais dans facebook!

Violence et sectarisme oui mais des deux côtés et bien sûr Victor Hugo croit aux bienfaits apportés par la révolution. Il est farouchement républicain quand il écrit ce livre! (avec d'ailleurs ce que j'aime moins comme conséquence, c'est qu'il est contre le régionalisme et en particulier les langues des provinces.)

nathalie a dit…

Disons que la langue de Hugo provoque en moi deux réactions simultanées : le rire et l'admiration.
Claudia : c'est vrai, il a la hantise du moindre particularisme. Au contraire des écrivains qui ont les deux pieds dans le romantisme, qui sont cramponnés à tous les pittoresques.

Anonyme a dit…

J'avais adoré Les Chouans de Balzac et comme je n'ai jamais lu de romans de Hugo( oui je sais c'est impardonnable !!!!!), je tenterais de le lire celui-ci !