La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 19 février 2014

Chaque tache de graisse est une île, chaque goutte de vin un étang bordant un manoir.


Raphaël Jerusalmy, La Confrérie des chasseurs de livres, Actes Sud, 2013.

Le récit commence au moment où François Villon est emprisonné, condamné à être pendu, attendant la sentence dans une geôle. Dans la vraie vie, l’histoire s’arrête là, car on n’a plus aucune trace du poète. Dans le roman, l’Église de France, et derrière elle le Roi de France, chargent le poète d’une mystérieuse mission : permettre à un imprimeur de s’installer à Paris et surtout faire venir des manuscrits, manuscrits dont la pensée doit ébranler Rome. Enfin cela, c’est le début car la quête des plus précieux manuscrits emmène Villon en Palestine.

Il y a plusieurs choses à dire sur ce roman.

Il s’agit d’un hymne au livre, à la littérature, à la poésie, au manuscrit. Le savoir se transmet sans que rien ne puisse l’arrêter. Les cartes et les traités sont dotés d’un pouvoir, d’une vie propre, comme si d’eux-mêmes ils essaimaient, permettaient à l’esprit humain de se développer, d’échapper aux ténèbres. C’est une utopie naïve, mais pleine de rêve.
La particularité est que Jerusalmy invente une confrérie de chasseurs de livres (au nom prometteur) qui organise clandestinement ce grand déferlement du savoir en Occident à l’aube de la Renaissance. Cette confrérie est formée par de grands savants juifs, résistants aux siècles et à la persécution depuis le désert palestinien. Elle est ainsi l’auteur de ce grand bouleversement de civilisation. Il faut dire que le roman contient nombre de références très fines à l’époque considérée.
Le problème est que je n’aime pas du tout les théories du complot, même romanesques, même utopiques, même sympathiques. Je trouve que c’est un manque d’imagination, que cela ôte à tout récit sa vraisemblance, et même que cela rend une narration particulièrement paresseuse (puisque tout rebondissement s’explique par la secte mystérieuse). J’ai donc eu particulièrement du mal avec ce postulat. C’est pour moi la grosse faiblesse du roman.

L’autre point fondamental est la présence de François Villon. Je ne suis pas convaincue non plus. Sans doute à cause du choix narratif : le roman commence quand Villon n’est plus Villon, on ne retrouve presque rien de son personnage et de son univers. Il semble un prétexte. Il apparaît comme un symbole du poète roublard, mais en réalité n’a aucune prise sur les événements – puisque la confrérie décide de tout. C’est à travers ses yeux que l’on suit principalement le récit et donc que l’on découvre la Terre Sainte.

Dans les points positifs : le rythme du récit, qui est très bien mené. Les chapitres longs et cours alternent, ainsi que les tons : manigances complotistes, voyage en Palestine, marchandage de manuscrits… Le roman se lit comme un roman d’aventures. Les rebondissements, assez prévisibles, sont bien racontés et le livre est séduisant sur ce plan.

Image censée représenter François Villon
dans la plus ancienne édition de ses œuvres (Pierre Levet, 1489)
image Wikipedia

J’ai trouvé que les portraits individuels et les explorations psychologiques étaient plus réussis que les scènes de dialogues et d’interactions entre personnages, un peu prévisibles à mon goût. Le rabbin Gamliel, l’italien Federico, le pape Paul II, le personnage qui a pour nom François Villon, frère Paul, etc. sont individuellement réussis, attachants et complexes.

Il ne s’agit pas du glorieux XVe siècle. On explore les foires de France et les ports italiens. À Jérusalem il y a certes les lieux saints, mais surtout l’entrelacs des lieux ruelles, le désert et le face à face compliqué entre mamelouks, pèlerins chrétiens, juifs, marchands…

Une sorte de gaieté émane des reliures aux couleurs vives qui se pressent sur les rayons. À terre, des amphores minces et élancées, contenant des rouleaux de papyrus, côtoient de lourds coffrets cloutés. Il n’y a aucun banc, aucune table. C’est ici le royaume des livres. Mêlés ainsi les uns aux autres dans une sorte de danse muette et vide de sens, ils ne semblent pas être les œuvres de l’homme, ni pour lui, mais dotés d’une vie propre, dégagée des textes mêmes qu’ils renferment.

5 commentaires:

  1. La phrase citation ne me tente pas vraiment.

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  2. Le livre ne me tentait pas, je l'ai lu parce qu'on me l'a donné, mais ça n'a pas pris.

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  3. J'avais de trop grandes attentes, j'ai été déçue. Complots et sectes, je n'aime pas trop non plus

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  4. L'histoire vu de l'envers du décors, alors.

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  5. Comme toi Miriam.
    Alex: pas vraiment l'envers. C'est une utopie, une fiction.

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