Michel Tremblay, La grosse femme
d’à côté est enceinte, premier volume des Chroniques du Plateau Mont-Royal, 1978.
Je découvre, ravie et enchantée, Michel Tremblay. Ce court livre
contient le récit d’une journée, en 1942, de quelques personnes et familles
d’une rue populaire de Montréal. On suit tous les êtres vivants (ou non) de la
rue, du petit enfant qui ne sait pas encore parler à la vieille femme mourante,
en passant par le chat. Peu d’hommes (ils sont à la guerre), beaucoup de femmes
et notamment de femmes enceintes. Le lecteur se rend peu à peu compte de cette
réalité et c’est très intéressant parce que l’on se trouve dans une société
complètement corsetée où tout ce qui a un vague rapport avec la sexualité est
tabou. Par exemple, être enceinte est honteux et au bout de quelques mois il
vaut mieux cacher « ça ».
Et quand une femme « un peu trop enceinte » passait dans la rue Mont-Royal, les regards se détournaient comme si elle avait été un objet obscène, honteux, et il se trouvait toujours une grenouille de bénitier ou un mangeux de balustres* pour lui dire : « Le dernier mois, d’habetude, les femmes restent chez eux… » Et c’était vrai. Plutôt que de subir les reproches muets qu’elles pouvaient lire dans tous les regards qu’elles croisaient, les femmes restaient chez elles pendant les dernières semaines de leur grossesse. Elles-mêmes finissaient par ressentir une certaine gêne d’être déformées et bousculées par ce paquet d’énergies, cette vie si puissante qui se préparait à sortir d’elles.
*quelle image !
La ville est en pleine transformation, mais règne une piété populaire
et rigoriste, ignorante et bornée, qui entretient un rapport très concret au
péché, ce qui n’empêche pas les habitants d’avoir des rêves et des visions.
Elle était la mère comme l’entendait l’Église et poussait la naïveté jusqu’à s’en vanter. « J’ai jamais rien faite contre l’Église ni contre le bon Dieu, pis chus sûre que mon Ange Gardien époussette ma place au ciel tous les matins ! » Cette exécrable naïveté que Mercedes avait toujours rêvé de détruire, sa mère l’avait gardée jusqu’à la fin. Elle était morte en disant : « J’vois le bon Dieu ! J’vois la Sainte Vierge ! Pis j’vois mon Ange Gardien avec son plumeau ! » et Mercedes avait ri.
L’alternance des points de vue permet une richesse des sentiments
exprimés entre la soif de liberté des prostituées, l’envie de vivre et la
mélancolie d’une vieille femme, la colère et l’attachement d’un homme pour sa
mère… Rien de figé ni de défini.
Ernest Lauzon, donc, interdisait à sa femme d’aller au théâtre sous prétexte que cela l’énervait trop et lui donnait des idées. Quelles idées, ça, il aurait été bien en peine de le dire, le mot « idée » représentant pour lui des besoins mystérieux qu’il ne connaissait pas, qui ne l’intéressaient pas, auxquels il ne pensait jamais.
Mais la richesse formidable de ce livre réside dans sa langue. Les
pensées et dialogues sont dans le langage oral et populaire du Québec. Pour
moi, française, cela produit un véritable effet d’étrangeté – je me demande
bien ce que les Québécois en pense ? C’est tout de même l’évocation d’un
monde en partie disparu. On se prend à lire à voix haute certains passages. Et
même si on ne comprend pas exactement le sens, on se laisse guider par la
phrase et le son de la langue.
Comme disait si bien ma grand-mère : « Y’a rien qui est assez
important pour remplacer le seul show gratis que le bon Dieu nous a donné. Si
t’as des problèmes au coucher du soleil, laisse-les tomber pis va te pâmer
devant l’orgie de couleurs que ton créateur se paye tou’es soirs, ça console,
ça lave, ça purifie. » A l’avait ben raison, la vieille tornon. Le coucher
du soleil, c’est comme un coup de couteau qui coupe la journée en deux !
J'aime beaucoup Michel Tremblay que j'ai découvert quand j'habitais au Québec. Et le le joual est une langage qui me fascine.
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