Philippe Jockey, Le Mythe de la
Grèce blanche, 2013.
Après avoir passé plusieurs jours à Rome à admirer les sculptures de la
Rome antique, qui sont bien souvent des copies d’après des originaux grecs, le
moment était idéal pour se plonger dans l’ouvrage de Jockey. Celui-ci est
revenu sur une réalité de la Grèce antique : les œuvres sculptées et les
temples étaient peints de couleur vive. Les sculptures étaient même
dorées à la feuille d’or.
Aux hommes, la polychromie ; aux dieux, l’éclat des matériaux précieux, or et ivoire. L’éclat divin est incolore.
Reconstitution des couleurs du fronton du temple Athena Aphaia à Égine, exposition Munich 2004, image Wiki |
C’est une réalité archéologique bien connue mais dont le souvenir a
disparu. Pas seulement pour des raisons matérielles (les couleurs s’effacent)
mais par goût, par esthétique, par politique. Pour nous, la Grèce s’identifie à
un temple d’un blanc éclatant sous le soleil d’azur, à un marbre délicat,
irisé, à des silhouettes immaculées et ce, en dépit de traces archéologiques
qui ne laissent aucun doute.
Cette tradition du portrait blanc impérial, inaugurée par Auguste, restera l’apanage d’une élite politique. On voit très vite, dès les premiers temps de l’Empire, s’opérer une fracture chromatique entre ces élites impériales et le vulgum pecus auquel le portrait du Prince, visible sur tous les forums, places publiques ou basiliques, se présente dans l’éclat de ses couleurs pour affirmer sa présence effective au cœur des cités. À l’oppose de cette image colorée « pour tous », quelques œuvres d’exception, circulant exclusivement dans l’entourage de l’empereur, proposeront à une minorité une version idéale de la figure impériale, dont la couleur exclusive est le blanc.
J. Hittorf, Restitution du temple d'Empédocle à Sélinonte, 1851, image INHA. |
Alors ? Jockey montre comment l’Occidental s’est identifié avec la
Grèce blanche, largement mythifiée, au point de refuser de voir la réalité
archéologique. Cela n’est pas sans lien avec l’idéologie autour de la race
blanche, bien sûr, cette race d’athlète. Il montre aussi que le succès de cette
statuaire a contribué à la blanchir : les statues célèbres copiées en
plâtre, dessinée, photographiée (en noir et blanc). Les images célèbres se sont
répandues, fondant notre imaginaire, de Renan à Gautier, en passant par nos
cartes postales touristiques et renforçant à chaque fois cette erreur. C’est
toute l’histoire du rapport de l’Occident à la Grèce antique qui est ainsi
rapidement retracée de l'empire romain à nos jours.
Alma-Tadema, Phidias montrant les frises du Parthenon à ses amis, 1868, Birmingham, image Wiki. |
Exalter la pureté du marbre pour condamner la bigarrure. La couleur, c’est l’Orient, c’est l’orientalisme et l’exotisme et tous ses fantasmes séducteurs. Les âmes d’enfants d’un côté, la digne maturité de l’autre, etc.
À garder en mémoire…
Boitte, Parthenon, 1936, centre Pompidou, image RMN. |
Je crois avoir lu que c'était la même chose pour les cathédrales : les pierres étaient peintes, ce qui n'a jamais été reproduit lors des restaurations...
RépondreSupprimerCe n'est pas exactement pareil parce que 1. On n'a perdu la mémoire de la couleur médiévale (il y en a des traces Sainte Chapelle, Saint Germain des Près, Tavant, Saint Servnin, Vicq etc.) 2 certaines restaurations XIXe ont rajouté de la couleur au lieu d'en enlever 3 même les restaurations contemporaines ne sont pas mal - on cite toujours l'exemple de la cathédrale d'Amiens dont la mise en lumière nocturne restitue les couleurs de la façade. Alors que pour les oeuvres grecques, l'oubli est plus important.
Supprimerles images virtuelles colorées c'est bien utile pour se représenter la réalité mais les ruines de marbre blanc tellement plus romantique
RépondreSupprimerOui, c'est sûr ! Il faut juste bien distinguer entre ce que nous, on apprécie, et ce que cela pouvait représenter pour les Grecs.
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