La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 22 juillet 2014

Dieu seul saura jamais tout le courage et toute la souffrance qui sont enfouis dans ce manuscrit.

 R. L. Stevenson, La Route de Silverado, traduit de l’anglais par Robert Pépin, recueils de textes de l’année 1880 (en gros), publié en France par Payot.
Le volume rassemble des textes au statut différent : publiés partiellement, pas publiés, revus ou non, des lettres.

Plus je découvre des textes peu connus de Stevenson, plus je suis ravie (à la fin de l’été, vous aurez un petit récapitulatif sur cet auteur).

J’ai commencé par me plonger dans le livre sans lire l’introduction. Dans une première partie, L’Émigrant amateur, Stevenson raconte son voyage de Glasgow à New York en bateau, détaillant ses compagnons de voyage, les futurs américains. Nous sommes loin de l’imagerie du pionnier. Ceux qui se lancent dans ce voyage sont plutôt des ratés habités par un espoir sans base réelle, qui pensent que ce sera mieux ailleurs. Stevenson ne reste que 24 heures à New York et il s’embarque aussitôt dans un train spécial pour émigrants à destination de la Californie. Nouvel expérience de la cohabitation, À travers les grandes plaines. Il découvre les Indiens en voie d’extermination, l’omniprésence du revolver et surtout les grands espaces américains : forêts, plaines, montagnes, ciels neufs. Ce sont de très belles pages que ces évocations de la nature. Stevenson pense aussi aux vrais pionniers qui ont jeté ces rails sur la prairie, qui voyageaient en chariot pendant des semaines, pour permettre à des gens comme lui de traverser le pays.

La corne de brume avait été mise en route et déjà ponctuait l’heure de ses cris malvenus, aussi forts que le beuglement du taureau et aussi intenses et frémissants que le chant du moustique.
A. Bierstadt, Merced river, New York, Metropolitan, image RMN.
Ensuite, j’ai lu l’introduction et plusieurs lettres de Stevenson, jointes au recueil pour comprendre le contexte de ce voyage. Le jeune écrivain dandy promis à de beaux succès vient de tout quitter, famille et amis, pour rejoindre sa Fanny. Celle qui avait été très bien accueillie en tant que maîtresse est immédiatement rejetée dès qu’il est question de l’épouser : une Américaine, plus âgée que lui, avec des enfants, pas encore divorcée, quelle folie ! C’est un Stevenson malade, sans le sou, sous le poids de ses futures responsabilités familiales et isolé. Ses amis ne répondent pas à ses lettres pour le décourager – croient-ils. Stevenson est donc seul, extrêmement malade, en train de basculer d’un monde à l’autre, il quitte l’élite amicale familière pour se jeter à corps perdu dans l’inconnu et l’écriture.

Seul, au fond de canyons aussi longs que stériles, notre train qui fonçait en sifflant réveillait l’écho endormi : seul à crier la vie par toutes ces terres de mort, seul acteur, seul spectacle qui valût la peine qu’on le contemplât dans cette gigantesque paralysie de l’homme et de la nature.

Reprenant le récit, j’ai ouvert la dernière partie, Le Journal de Silverado, qui raconte comment, une fois mariés, les Stevenson (avec adolescent et chien) ont vécu pendant tout un été dans une mine d’argent désaffectée, dans des conditions matérielles maigres mais devant un paysage somptueux.


Cette lecture m’a beaucoup plu. J’y ai d’abord trouvé beaucoup d’intérêt dans cette évocation des pionniers venus du monde entier et voyageant dans des conditions misérables. On trouve les Chinois de San Francisco, les noirs fuyant l’esclavage, les bandits, la diligence et les serpents à sonnette. La description des paysages (plaines à pertes de vue, Océan Pacifique, forêts, brouillards) est grandiose. C’est aussi un voyage en compagnie d’un homme sensible, décidé à vivre et à faire vivre les siens de sa seule plume, plein d’humour également. Stevenson est sensible au tempérament du nouveau pays et à la poésie de sa nature. Il est impressionné par la capacité des villes à apparaître et disparaître et déguste les premiers vins californiens.
C’est aussi sans doute pour ces pages si saisissantes sur les États Unis que Mark Twain a été si heureux derencontrer Stevenson (il en fait un très beau portrait).

On ne pouvait s’empêcher de songer à la lassitude de ceux qui autrefois avaient dû y marcher, et péniblement y pousser leurs attelages à l’allure molle du bœuf, sans rien d’autre pour se guider que ce soleil du soir hors d’atteinte vers lequel on progressait, et qui chaque jour reculait du même pas. On n’y avait, semblait-il, jamais rien à dépasser ; aucune borne non plus à laquelle mesurer son avance ; rien à voir qui eût pu reposer l’esprit ou l’encourager ; une étape après l’autre, rien d’autre que cette désolation de vert immobile sous les pieds, rien d’autre au loin que l’horizon fuyant et moqueur.


J’inscris ce texte entre deux challenges, le challenge victorien et le challenge western, même s’il peut en sembler éloigner. Stevenson fuit en effet le monde victorien, l’autorité paternelle, les préjugés de ses amis et leur esprit étroit, pour se plonger dans l’aventure, à la découverte d’un nouveau continent. S’il ne croise pas de cow-boys, c’est bien l’imaginaire des pionniers américains qui l’appelle. À son retour, il écrira une histoire de pirates...


3 commentaires:

Dominique a dit…

Comme je comprends ton plaisir, j'ai acheté il y a plusieurs dizaines d'années, euh peut être 20 ans un énorme pavé chez Payot regroupant tous les récits de Stevenson hors romans, dedans il y a ses écrits des îles, bien sûr sur la route de Silverado et des écrits de jeunesse comme sa balade en Ecosse ou sur les canaux et rivières de France
C'est un bonheur de lire cet homme

nathalie a dit…

Le texte sur les mers du Sud est le prochain sur la liste ! Je le trouve supérieur dans ce genre de récit que dans ses romans.

Dominique a dit…

je partage totalement ton avis, il est dommage de se cantonner aux romans même si ce sont de bons romans, je lui trouve une maitrise du récit dans ses écrits de voyage nettement supérieure