La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 4 novembre 2014

Le jour s’est levé, nuageux, et Madrid, indifférent.

Aníbal Malvar, La Ballade des misérables, traduit de l’espagnol par Hélène Serrano, parution originale en 2012, édité en France chez Asphalte.

Un roman qui change considérablement de ce que je lis d’habitude. L’action se déroule au Poblao, bidonville gitan aux portes de Madrid, territoire des junkies et de créatures improbables (on est à quelques années lumières du Madrid lumineux). La petite-fille du patriarche, Alma, a disparu et il ne s’agit pas d’une disparition ordinaire…
L’originalité de ce roman ne tient pas dans le fin mot de son intrigue, que l’on saisit assez vite, mais dans sa construction et sa langue. Sa construction : à chaque chapitre, le héros change. Tirao le gitan gigantesque et énigmatique, Prunelle-de-mes-yeux qui vit sur la décharge, une journaliste, un perroquet, des morts – beaucoup de morts – des objets se succèdent. C’est au début déstabilisant, comme si l’on recommençait un nouveau roman à chaque fois, mais donne beaucoup de vivacité et de liberté au récit. La langue est iconoclaste, entre trouvailles littéraires, vulgarités, morceaux de poésie et citations de chansons.

Les junkies de la méthadone ont les yeux océaniques de ceux qui n’ont jamais dormi et les os déliquescents de ceux qui dorment en permanence. Quand il y a du soleil, leurs yeux gémissent, et quand il fait gris, leurs os pleurent.

Le projet est de peindre un univers aux marges de la vie connue, habité par des personnages hors normes. Mention spéciale pour O’Hara, le flic drogué propriétaire d’un perroquet et pour ses dialogues improbables avec son collègue Ramos. Je l’aurais retrouvé avec plaisir dans d’autres aventures. À la fois très noir et sans aucune concession, ce roman dégage pourtant une certaine énergie, même si elle est quelquefois poussée par le désespoir. Son ton est entraînant et prenant et je l’ai lu avec une vraie curiosité. Un roman qui ne ressemble à nul autre.

« Putain, les mecs. Déjà quand j’étais petit, je me suis fait virer deux fois de l’école. De bars… pfff… je vous dis pas combien de fois. » Il est resté pensif quelques secondes, lissant machinalement d’une main ses paupières fripées. « On m’a viré de tripots clandestins. De bals de débutantes. D’enterrements. De soirées d’alcooliques anonymes. D’une palanquée de lits. » Il a élevé légèrement la voix. «  Tout ça, je n’irais pas m’en vanter. Mais putain, que vous soyez prêts à me virer de la police ! Alors ça, c’est tomber bien bas. »

Merci à Asphalte pour cette lecture.



6 commentaires:

Jeanmi a dit…

Voilà des parrains qui comptent dans le milieu ! Hélas mes parrains à moi sont moins prestigieux, L.F. Céline, G.D. Maupassant, mais ils sont toujours à mes côtés quand je suis en panne d'écriture...

nathalie a dit…

Guy est un sacré parrain d'écriture je trouve ! En réalité, vu le nombre d'auteurs que j'apprécie, il me faudrait une palanquée de parrains et marraines pour ce blog.

claudialucia a dit…

Tu imagines tous les prénoms dont pourrait se composer le titre de ton blog!

Les deux extraits que tu donnes de ce livre sont étonnants au niveau de la diversité du style.

nathalie a dit…

Chez Arno, Guy, George, Virginia, Robert... il ne faut pas être agoraphobe !

Ce roman alterne avec virtuosité les morceaux poétiques, brutaux, humoristiques...

Alex Mot-à-Mots a dit…

Bonne pioche pour un genre qui ne te plait pas habituellement.

nathalie a dit…

Ce n'est pas que ça me plaît pas, mais je n'en lis pas forcément (vu la profusion de livres que j'ai à lire !). Ça te plairait peut-être.