Javier Cercas, Les Lois de la frontière, traduit de
l’espagnol par Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičić, publication originale
2012.
C’est mon troisième roman de
Javier Cercas, même si celui-ci se dirige plus nettement que les autres vers la
fiction, et c’est encore une réussite.
Un écrivain pose des questions et
nous lisons le récit de ce très long entretien. Un homme raconte l’été de ses
seize ans, quand il a fait brièvement partie de la bande de Zarco (alcool,
drogue, braquages). Puis le même homme raconte comment, devenu avocat, il a
accepté de défendre Zarco devenu un mythe. L’écrivain rencontre également un
policier et un directeur de prison, mais Cañas, l’avocat, est le personnage
principal. À moins que ce ne soit Zarco.
L’intérêt de toute cette affaire, il me semble, c’est d’être jeune quand on est jeune et d’être vieux quand on est vieux ; c’est-à-dire qu’on est jeune quand on n’a pas de souvenirs et vieux quand derrière chaque souvenir, on en retrouve un mauvais.
Le roman explore le parcours du
délinquant devenu avocat et du délinquant devenu bandit et s’interroge sur la
vérité de l’individu, sur le rapport entre individu et le mythe qu’il a créé,
sur les transformations des personnalités. L’écrivain fouille le secret des
motivations et encore une fois les hypothèses se multiplient au point de brouiller
toute interprétation (ça est proustien en diable). Cañas revient sur des
moments clés, une scène de séduction, un acte de trahison, retournant les faits
sans parvenir à trancher. Cette thématique est au centre de tous les romans de
Cercas.
Petite faiblesse : j’ai eu
du mal à croire à Zarco. Autant le jeune délinquant ou le détenu malade sont
crédibles, grâce à une présence plus affective dans le discours de Cañas,
autant la star du banditisme (il y a quelque chose de Mesrine dans le personnage) est mise en doute par ce même discours et semble
immédiatement une baudruche.
Picasso, Brigand, fusain et pastel, Berlin, SMPK, image RMN. |
- Vous avez donc laissé Zarco croire à l’idée qu’il imaginait, à tort, que vous vous faisiez de lui.
- Oui. Je suppose que oui.
- Je croyais que vous teniez beaucoup à la vérité.
- Et j’y tiens beaucoup, mais la vertu poussée à l’extrême devient un vice. Si on ne comprend pas qu’il y a des choses plus importantes que la vérité, on ne comprend pas combien la vérité est importante.
Quant au dispositif de narration
consistant à mettre en scène un écrivain interrogeant des personnages, elle m’a
paru habile et propre à répondre aux préoccupations de Cercas qui veut mettre
en doute la possible vérité des faits. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux romans
du XIXe siècle où un narrateur raconte et met en scène le récit (Les Hauts de Hurle-Vent, Le Maître deBallantrae) – on sous-estime souvent l’effet produit par l’interposition de
ce narrateur.
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