Charlotte Brontë, Shirley, 1849.
Splendide roman !
Le début nous campe un contexte
socioéconomique tendu : l’Angleterre de 1810 est sous la contrainte du
blocus napoléonien et les exportations sont interrompues. Les propriétaires de
fabriques essaient d’installer les premiers métiers à tisser, déclenchant
révolte et colère des ouvriers réduits au chômage. C’est ainsi que le lecteur
fait la connaissance de Robert Moore, homme au bord de la ruine et inflexible,
décidé à relever son commerce.
Je dois dire que cette entrée en
matière est saisissante. Considérations sociales, personnages extrêmement bien
tracés (des vicaires médiocres, un pasteur presque soldat), c’est inattendu.
Ensuite apparaît Caroline, lointaine cousine de Robert Moore. Et puis encore un
peu après Shirley Keeldar. Sous ce prénom masculin se tient une jeune héritière,
riche, indépendante, attachée à sa liberté et à la dignité. Cette magnifique
figure donne son nom au roman, même si la douce Caroline semble bien être le
personnage principal. Autour des deux amies, gravitent un pasteur profondément
misogyne mais acceptant de reconnaître des vertus viriles à Shirley, une série
de prétendants, des vieilles filles dont tout le monde se moque en dépit de
leurs indéniables qualités, un ouvrier, un précepteur… 750 pages plus loin,
tout est résolu.
- Une excursion prend un tout autre caractère lorsqu’il y a des jeunes gens, interrompit Caroline.
- Je suis de votre avis : ce serait chose toute différente de celle que nous nous proposons.
J’ai adoré ce roman (l’éclat de Jane Eyre en prend un coup). Tout
d’abord, ce traitement de la réalité sociale n’est pas si répandu et donne une
coloration plus sombre au roman. J’ai aussi apprécié que l’action soit dans un
village et non pas dans une famille ou un internat comme d’autres romans de
Charlotte Brontë, ce qui élargit les possibilités de la narration. Les
personnages sont nombreux et variés, entrent en scène au bon moment et sont utilisés
de façon très habile pour servir le récit.
Shirley (à l’époque le prénom est
masculin) est bien évidemment un personnage remarquable, qui se révolte contre
l’assujettissement dans lequel se trouvent les femmes. Belle, libre, sensible,
elle illumine le roman comme une flamme. Grâce à elle, on s’éloigne de la
douceur propre aux romans de Charlotte Brontë, pour une note plus passionnée.
À la lecture, on sent une véritable
affection de l’auteur pour ses personnages, qui sont traités avec vérité,
rudesse mais également avec une grande finesse. La préface m’apprend que Brontë
a rendu hommage à ses sœurs mortes, leur donnant le bonheur en quelque sorte
qu’elles n’ont pas eu le temps de connaître. Les personnages secondaires sont
également dotés d’une véritable épaisseur, issus d’une observation
bienveillante de la réalité d’un village anglais et de la vie d’une paroisse.
P. W. Steer, Jeune femme sur la jetée, 1886-88, Orsay |
J’ai apprécié aussi l’humour de
l’auteur qui prend volontiers de la distance avec son récit et qui annonce un
roman aussi romantique qu’un « lundi matin ». Elle se moque en
particulier des préjugés réciproques entre Belges et Anglais (car nous
retrouvons la petite note belge familière des romans de Brontë).
La seule petite chose qui
continue à m’agacer dans les romans de Charlotte Brontë : mais pourquoi
faut-il que le mari idéal soit systématiquement en position d’être le
professeur ou le maître et la femme amoureuse une élève ? Je dois dire que
l’alliance entre amour et admiration est particulièrement bien chantée, mais je
reste sceptique.
Le caractère de Mlle Keeldar et
celui de son oncle n’étaient pas faits pour s’entendre. Il était irritable et
elle était frondeuse ; il était despotique et elle aimait la
liberté ; il était positif et elle, peut-être, romanesque.
Avis des Lectures en contrepoint. Des femmes écrivains.
Bon ben voilà! Me reste plus qu'à découvrir Charlotte maintenant. Merci pour cet avis qui donne envie!
RépondreSupprimerIl demande un peu de temps, mais vaut vraiment le coup.
SupprimerJ'avais déjà hâte de lire ce livre mais ton avis m'y pousse encore plus. "Jane Eyre" avait été un vrai plaisir de lecture et je pense que "Shirley" ne devrait pas me déplaire non plus
RépondreSupprimerJe dois relire Jane Eyre bientôt, mais j'avoue que Shirley m'a laissé une impression très forte.
SupprimerJe viens en fait de ton billet sur Jane Eyre, et découvre que tu as aussi lu shirley! Un bon souvenir!
RépondreSupprimerOui !
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