La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 8 janvier 2015

Décontenancez la réalité en la fixant droit dans les yeux.

Charlotte Brontë, Shirley, 1849.

Splendide roman !

Le début nous campe un contexte socioéconomique tendu : l’Angleterre de 1810 est sous la contrainte du blocus napoléonien et les exportations sont interrompues. Les propriétaires de fabriques essaient d’installer les premiers métiers à tisser, déclenchant révolte et colère des ouvriers réduits au chômage. C’est ainsi que le lecteur fait la connaissance de Robert Moore, homme au bord de la ruine et inflexible, décidé à relever son commerce.
Je dois dire que cette entrée en matière est saisissante. Considérations sociales, personnages extrêmement bien tracés (des vicaires médiocres, un pasteur presque soldat), c’est inattendu. Ensuite apparaît Caroline, lointaine cousine de Robert Moore. Et puis encore un peu après Shirley Keeldar. Sous ce prénom masculin se tient une jeune héritière, riche, indépendante, attachée à sa liberté et à la dignité. Cette magnifique figure donne son nom au roman, même si la douce Caroline semble bien être le personnage principal. Autour des deux amies, gravitent un pasteur profondément misogyne mais acceptant de reconnaître des vertus viriles à Shirley, une série de prétendants, des vieilles filles dont tout le monde se moque en dépit de leurs indéniables qualités, un ouvrier, un précepteur… 750 pages plus loin, tout est résolu.

- Une excursion prend un tout autre caractère lorsqu’il y a des jeunes gens, interrompit Caroline.
- Je suis de votre avis : ce serait chose toute différente de celle que nous nous proposons.

J’ai adoré ce roman (l’éclat de Jane Eyre en prend un coup). Tout d’abord, ce traitement de la réalité sociale n’est pas si répandu et donne une coloration plus sombre au roman. J’ai aussi apprécié que l’action soit dans un village et non pas dans une famille ou un internat comme d’autres romans de Charlotte Brontë, ce qui élargit les possibilités de la narration. Les personnages sont nombreux et variés, entrent en scène au bon moment et sont utilisés de façon très habile pour servir le récit.
Shirley (à l’époque le prénom est masculin) est bien évidemment un personnage remarquable, qui se révolte contre l’assujettissement dans lequel se trouvent les femmes. Belle, libre, sensible, elle illumine le roman comme une flamme. Grâce à elle, on s’éloigne de la douceur propre aux romans de Charlotte Brontë, pour une note plus passionnée.
À la lecture, on sent une véritable affection de l’auteur pour ses personnages, qui sont traités avec vérité, rudesse mais également avec une grande finesse. La préface m’apprend que Brontë a rendu hommage à ses sœurs mortes, leur donnant le bonheur en quelque sorte qu’elles n’ont pas eu le temps de connaître. Les personnages secondaires sont également dotés d’une véritable épaisseur, issus d’une observation bienveillante de la réalité d’un village anglais et de la vie d’une paroisse.

P. W. Steer, Jeune femme sur la jetée, 1886-88, Orsay
J’ai apprécié aussi l’humour de l’auteur qui prend volontiers de la distance avec son récit et qui annonce un roman aussi romantique qu’un « lundi matin ». Elle se moque en particulier des préjugés réciproques entre Belges et Anglais (car nous retrouvons la petite note belge familière des romans de Brontë).
La seule petite chose qui continue à m’agacer dans les romans de Charlotte Brontë : mais pourquoi faut-il que le mari idéal soit systématiquement en position d’être le professeur ou le maître et la femme amoureuse une élève ? Je dois dire que l’alliance entre amour et admiration est particulièrement bien chantée, mais je reste sceptique.

Le caractère de Mlle Keeldar et celui de son oncle n’étaient pas faits pour s’entendre. Il était irritable et elle était frondeuse ; il était despotique et elle aimait la liberté ; il était positif et elle, peut-être, romanesque.

6 commentaires:

  1. Bon ben voilà! Me reste plus qu'à découvrir Charlotte maintenant. Merci pour cet avis qui donne envie!

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    1. Il demande un peu de temps, mais vaut vraiment le coup.

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  2. J'avais déjà hâte de lire ce livre mais ton avis m'y pousse encore plus. "Jane Eyre" avait été un vrai plaisir de lecture et je pense que "Shirley" ne devrait pas me déplaire non plus

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    1. Je dois relire Jane Eyre bientôt, mais j'avoue que Shirley m'a laissé une impression très forte.

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  3. Je viens en fait de ton billet sur Jane Eyre, et découvre que tu as aussi lu shirley! Un bon souvenir!

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