Victor Hugo, Bug Jargal, 1818.
Un roman de jeunesse (l’auteur
avait 16 ans) qui s’inscrit dans la veine exotique. Le héros est un militaire
qui raconte un épisode de sa jeunesse, intervenu dans l’île de Saint-Domingue,
au moment de la Révolution et de son mariage. Une nuit, les esclaves se
révoltent et dévastent les plantations en massacrant les blancs. Le héros
désespéré croit que sa jeune épouse fait partie des massacrés. Mais émerge au
dessus de la masse esclave la figure de leur chef Bug Jargal, audacieux,
mystérieux, presque tout puissant.
Je me demandais s’il était possible que tout ce qui s’était passé, que ce qui m’entourait fût le camp du sanguinaire Biassou, que Marie fût pour jamais perdue pour moi, et que ce prisonnier gardé par six barbares, garrotté et voué à une mort certaine, ce prisonnier que me montrait la lueur d’un feu de brigands, fût bien moi.
Faisons place tout d’abord à la
faiblesse principale de ce livre : son racisme. Alors qu’Hugo avait de
quoi nous peindre la révolte épique des esclaves contre leurs maîtres, il livre
un portrait consternant des noirs. Ceux qui ne sont pas des ignorants sont des brutes.
Quand on pense à ce qu’il aurait pu faire de la figure de ces combattants de la
liberté, c’est vraiment décevant. Biassou n’est pourtant pas inintéressant. Habile et
cruel, c'est un véritable chef d’armée plein d’intelligence maligne, mais on a connu des
méchants hugoliens avec plus d’ampleur. Quant à Bug Jargal, s’il est doté de
toutes les qualités, c’est parce qu’il est fils de roi. En bref, Hugo préfère
le bon sauvage à la figure politique.
Girodet, J.-B. Belley, député de Saint-Dominique à la Convention, 1797, château de Versailles, RMN. On notera que Girodet a été nettement plus clairvoyant qu'Hugo. |
Une place est à réserver au
bouffon, qui occupe un rôle croissant au fil de l’intrigue. Nain, mulâtre,
bouffon, charlatan, manipulateur, cruel et servile, il est une des figures
diaboliques, grotesques et malignes comme les affectionne Hugo. S’il reste en
quelque sorte sous-employé dans cette œuvre de jeunesse, il annonce d’autres
créatures romanesques à venir.
Tout ceci n’empêche pas le roman
d’être un très bon roman d’aventure. C’est sans doute ainsi qu’il a d’abord été
conçu. Le narrateur alterne entre moments d’espérance et abîmes, côtoie des
bourgeois médiocres, des militaires valeureux, des héros, des fous… Bug Jargal
et lui font assaut d’honneur dans une nature sauvage et inconnue, c’est tout
l’attrait du livre que j’ai joyeusement dévoré.
Bref, Hugo s’est amélioré les
années suivantes.
Le bon sergent aurait bien voulu
achever honorablement sa bizarre comparaison. Il y avait peut-être quelque
chose dans ce rapprochement qui plaisait à sa pensée ; mais il essaya
inutilement de l’exprimer ; et après avoir plusieurs fois attaqué, pour
ainsi dire, son idée dans tous les sens, comme un général d’armée qui échoue
contre une place forte, il en leva brusquement le siège, et poursuivit sans
prendre garde au sourire des jeunes officiers qui l’écoutaient.
C'est vrai qu'il y a les prémices de ses grands romans et ce n'est pas si mal pour un si jeune auteur! Il faudra laisser ce jeune homme de génie grandir et évoluer!
RépondreSupprimerOui, laissons-lui sa chance à ce petit jeune homme prometteur.
SupprimerAlors qu'il va lutter contre la peine de mort, c'est étrange de découvrir le peu de cas qu'il faisait des esclaves.
RépondreSupprimerOn associe tellement Hugo aux combats pour la liberté que l'on en oublie ses penchants royalistes (communs à tous les romantiques).
SupprimerReplacer le roman dans son contexte permet d'être moins sévère avec le jeune (très jeune) Victor Hugo. Par ailleurs, les épisodes les plus choquants ont malheureusement eu des fondements historiques. On croit que VH caricature et on s'aperçoit que la lutte a été vraiment sauvage.
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SupprimerAh tu trouves que je suis sévère avec lui (et tu as raison). Je ne dis pas que les épisodes violents sont sans réalité historique, je dis que le roman ne rend que le grotesque et la cruauté d'une lutte, alors que VH avait d'autres choix possibles dans sa narration d'autant qu'il écrivait un roman, clairement revendiqué comme tel.
SupprimerMais n'oublions pas de quelle classe sociale est VH : à 16 ans il épouse les préjugés de sa classe et pourtant il s'en dissocie déjà un peu (laissons le évoluer) car il n'est pas vraiment raciste ; en effet, le personnage du noir révolté devient l'ami du narrateur et présente des qualités d'honnêteté et de courage que bien des blancs ne possèdent pas. De plus le narrateur, jeune militaire, est lui aussi prisonnier des idées de sa caste. Pourtant même s'il accepte l'esclavage, il n'est pas complètement en accord.
RépondreSupprimerComme tous les romantiques, VH est plutôt l'ami de la royauté. Et il ne chante pas encore les louanges du peuple en effet.
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