La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 23 juin 2015

Auparavant, elle pensait que le monde se résumait à des champs de maïs ou de haricots, à des prairies, à des vergers.

Marilynne Robinson, Lila, traduit de l’américain par Simon Baril, parution originale 2014, édité en France chez Actes Sud.

Attention, j’ai adoré ce roman, que je veux déjà relire.

Un prologue où une enfant est enlevée, une nuit, d’une maison où personne ne s’occupe d’elle, par une nommée Doll qui l’entraîne sur les chemins. Bien des années plus tard elle réfléchit à sa vie. Lila est alors l’épouse du pasteur de la petite ville de Gilead et le lecteur comprend que l’on se situe dans les années 30.

Elle n’avait pas encore regardé son visage. Elle observait le vent qui agitait les arbres. C’était une légère brise du soir, et les arbres s’obscurcissaient, se remplissaient d’ombre. L’heure d’arrêter de travailler approcherait ; pas tout de suite, mais dans pas trop longtemps. Autrefois, un vent comme celui-ci leur annonçait que la journée n’était pas sans fin, qu’allait venir l’heure de dîner, de bavarder, puis de dormir.

Le roman raconte donc un parcours dans un jeu constant d’allers et retours entre les souvenirs de Lila de sa vie passée qui s’imposent à elle avec la force de la réalité et sa vie présente, maladroite dans ce bonheur domestique. C’est aussi un portrait de femme et de femme pauvre, mais libre. Robinson raconte la vie de ces américains journaliers des campagnes, allant d’un travail à un autre, dormant dans les champs, glanant leur nourriture, dont l’existence est mise à mal par la grande crise de 29. Dans ce monde, seule Doll tient à Lila. Et celle-ci bien plus tard s’interroge sur les non dits de cette vie, sur ce que sont devenus ses compagnons de route, jusqu’à s’inquiéter de savoir s’ils pourront accéder ou non au Paradis. Car l’enjeu du roman est de savoir si Lila va réussir cette transformation, dire oui à l’amour, au bonheur, à la maison en dur, aux vêtements neufs ou si elle va reprendre la route pour aller dormir parmi les épis de maïs. Dans ses interrogations, elle est guidée par la lecture de la Bible qu’elle découvre lentement, lisant, relisant, recopiant les phrases. Ce qu’elle lit l’inquiète, la questionne, essayant de trouver une traduction concrète à ces paroles lointaines et mystérieuses.

Ouvrant la bible, elle s’était mise à lire une page au hasard, et avait trouvé ceci : Le jour où tu es née, ton cordon n’a pas été coupé, tu n’as pas été lavée dans l’eau pour être purifiée… Nul œil ne s’est apitoyé sur toi. Elle songea que, comme pour tout enfant qui a la chance de survivre, quelqu’un avait bien dû la prendre en pitié. Passant près de toi, je t’aperçus en train de te débattre dans ton sang. Lila avait vu naître des enfants. Ils étaient aussi nus, aussi bizarres qu’un insecte qu’on déterre.
D. Carrington, Ferme à Watendlath, 1921, Londres, Tate Britain
Et pourquoi ce livre m’a tant plu ? D’abord parce qu’il prend le temps de raconter les saisons, les chemins, de répéter s’il le faut. Parce qu’il traite de choses essentielles : Lila s’inquiète de savoir si elle a une « vraie » famille, est heureuse quand elle est seule, mais comprend que tout change à partir du moment où quelqu’un, quel qu’il soit, tient à elle et où elle commence à essayer de ne pas faire souffrir cette personne. Dans ce parcours, elle s’appuie sur la lecture de la Bible, comme un outil pour se questionner.
Le lecteur suit étroitement ses pensées et son cheminement intérieur. La relation entre Lila et le pasteur est racontée avec une grande délicatesse et douceur, comme le rapprochement de deux natures effarouchées.

Dans sa lettre, le Révérend avait dit : Il n’y a pas de sécurité. Et Lila savait que l’existence peut être incroyablement féroce. Une tempête peut soudain souffler de nulle part, un vent qui vous prend votre vie des mains, qui vous arrache l’âme du corps. Les flammes circulaient entre les êtres vivants ; le feu répandait une clarté, et du feu sortaient des éclairs. Les êtres vivants jaillissaient dans tous les sens comme la foudre. Elle avait recopié ce passage quinze fois. Cela lui rappelait à quel point le monde est sauvage. Ici, dans cette maison si tranquille, elle craignait de l’oublier.

Des femmes écrivains.
L'avis de Jostein.

6 commentaires:

  1. "le temps de raconter les saisons, les chemins" : voilà qui est très tentant, je note ce titre.

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    1. J'espère qu'il te plaira ! C'est un livre doux et lent.

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  2. Depuis que j'ai lu Chez nous (http://enlisantenvoyageant.blogspot.fr/2010/02/chez-nous.html) un coup de coeur, je cherche les romans de l'auteur, et quand j'ai vu Lila à la bibli, j'ai sauté dessus! Bientôt je vais le savourer!

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    1. Mais quelle chance tu as ! Je compte bien lire Chez nous et Gilead maintenant.

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  3. Ton billet me tente je note cette auteure

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