Siegfried Lenz, La Leçon d’allemand, traduit de
l’allemand par Bernard Kreiss, publication originelle 1968.
Je découvre ce chef d’œuvre (vous
êtes prévenus) !
Le narrateur, Siggi Jepsen, se
trouve dans un centre de rééducation pour jeunes délinquants et rédige une
punition sur les « joies du devoir ». Cette expression le renvoie
immédiatement à son père, gendarme à Rugbüll, en Allemagne du Nord, un homme voué
au devoir au point sans doute de rendre fous ses propres enfants. On est
pendant la Seconde guerre mondiale et le gendarme est chargé de faire respecter
une étrange décision : le peintre Max Ludwig Nansen est interdit de
peindre. Toute œuvre produite malgré tout devra être détruite. C’est la vie des
mois et des années qui suivent que Jepsen raconte lentement, se rapprochant peu
à peu du moment où il écrit.
Il refusa de croire qu’on pût avoir tant de mal à commencer ; il ne put se faire à l’idée que l’ancre du souvenir n’eût trouvé prise nulle part, qu’elle n’eût fait que bringuebaler et traîner au fond des eaux profondes en soulevant tout au plus des nuages de vase mais sans faire jamais place au calme, au repos indispensables quand on veut lancer un filet sur le passé.
Ce roman est magnifique et je ne
sais pas très bien par quoi commencer.
Tout d’abord, La Leçon d’allemand fait partie des
romans allemands qui raconte la guerre telle que l’ont vécue les civils. Il
rejoint Arno Schmidt, Christa Wolf et quelques autres. En l’occurrence, la guerre et le
nazisme constituent un arrière-plan jamais expliqué : une administration
qui classe Nansen parmi les peintres dégénérés (qui appelle à détruire ses
peintures, mais préfère les vendre à l’étranger pour récupérer des devises), un
grand frère déserteur, des bombardements aériens…
C’est surtout le personnage du
père, incarnation de l’homme qui fait son devoir et s’en tient là, refusant
toute alternative. La menace qui émane de lui est très subtilement rendue et
d’ailleurs chaque personnage a sa propre épaisseur. Si on lit au début un
portrait de père, un portait de peintre et une chronique de la guerre, où les
marottes du narrateur (entretenir des cachettes, épier les adultes) semblent
normales, on vire peu à peu dans un huit clos battu par les vents, au climat
paranoïaque, où l’on en vient à douter de la parole et de la santé des uns et
des autres.
Chez nous, celui qui tend l’oreille par un soir venteux d’automne en apprend plus que ce qu’il s’attendait à apprendre, plus que ce qu’il désirait savoir : on surprend toujours quelque palabre au profond des haies, l’air charrie toujours des rumeurs singulières et celui qui consacre son attention aux voies ou aux portes qui claquent n’est jamais déçu.
Ensuite, il y a la peinture. Max
Ludwig Nansen s’inspire d’Emil Nolde, le peintre expressionniste qui a
révolutionné la couleur. Ses toiles sont vivantes et le narrateur décrit la
façon dont s’animent les personnages qui dansent devant les yeux.
Ce narrateur est d’ailleurs remarquable. Adolescent qui grandit tout au fil du roman, il semble neutre et éviter tout approfondissement psychologique. C’est à travers lui que nous voyons les peintures, l’affrontement entre le gendarme et le peintre et surtout la région de Rugbüll. Il ne s’agit pas d’un récit fait par un petit enfant. Le narrateur nous rappelle très fréquemment qu’il écrit a posteriori, qu’il est un observateur caché, qu’il choisit son point de vue et se désintéresse de certains éléments. Il est le guide de l’histoire.
J’ai été fascinée par ce monde de
landes, de dunes, d’écluses, de grèves de sables et de digues. C’est une région
plate où on peut surveiller tout le monde avec une paire de jumelles, courir le
long de la digue pour s’abriter du vent, où les oiseaux de mer survolent tout
le monde. Les notations météorologiques, les indications de couleurs et
d’atmosphère sont omniprésentes.
Je n’avais pas même besoin de suivre son regard pour savoir que son attention était entièrement braquée sur ce peuple merveilleux que son œil savait découvrir partout : dieux de la pluie, facteurs de nuages, coureurs de vagues, pilotes des airs, bonshommes de brouillard, tous grands amis du moulin, de la côte et des jardins : ils se levaient et se montraient à lui dès que son regard les libérait de leur vie courbée, secrète.
J’ai aimé… les descriptions de la
région et la façon dont elles s’intercalent avec les peintures. J’ai aimé la
façon très simple dont nous sont présentées ces spectaculaires peintures
expressionnistes, comme s’il était normal d’avoir une moitié de visage en bleu
et une autre en verte. C’est la vérité d’une vision.
Je le vis toucher la toile du bout des doigts
et battre aussitôt en retraite, fermer les yeux et secouer brièvement les
épaules comme si un frisson le parcourait. Là le ciel et la mer fêtaient leurs
noces. Là un jaune citron doux persuadait un bleu lumineux de sa prépondérance.
Derrière les voiles qui flottaient dans l’azur on devinait des horizons
lointains, on devinait une histoire parvenue à terme ; elles cédaient un
peu de leur blancheur pour assurer à cette union la perfection dont le peintre
avait rêvé.
Bien évidemment, Dominique vous
le recommande.
Je n'ai lu qu'une fois Siegfried Lenz, Le dernier bateau, qui m'avait beaucoup plu.
RépondreSupprimerJe découvre cet auteur, mais je vais étudier sa bibliographie.
SupprimerJe m'empresse de noter ce titre que je ne connaissais pas.
RépondreSupprimerAh j'espère qu'il te plaira !
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