Ronaldo Menéndez, Cuentos caníbales (Contes cannibales), traduit du cubain par Sophie Gewinner, lu en
édition bilingue Meet. L’éditeur ne précise pas de quel recueil sont extraites
ces nouvelles, mais il semble que ce soit de Las Bestias, paru à Madrid en 2006.
Quatre courts récits qui ont un
point commun : la recherche de la viande. Et le mauvais goût.
Dans Viande, deux hommes s’apprêtent à aller tuer et découper une vache
dans un champ, mais cela ne se passe pas du tout comme prévu. Dans ce récit, la
nuit est vivante, avec ses grenouilles, ses chauves-souris, ses lumières
bizarres. Dans Abécédaire, un homme
nourrit ses grands-parents de carottes. Et de lapin. Le lapin pêché sur les
toits de la ville, vous connaissez ? Une drôle de recette…
La nouvelle la plus réussie est Des cochons et des hommes ou l’étrange cas
de A. A est un lettré vivant dans un quartier très pauvre, au milieu d’une
population noire qu’il déteste. Mais A s’est décidé à élever un porc pour
améliorer l’ordinaire. Sa vie bascule, voilà le professeur qui discute avec les
gamins des rues. Jusqu’au jour où… je ne vous dis rien, c’est violent et
absurde, cruel et fou, frôlant le fantastique.
Enfin, Menu insulaire est un hymne à une île à l’économie soi-disant
socialiste, où l’on meurt de faim, où chacun élève un porc dans sa salle de
bain, où l’on pêche des lapins sur les toits des villes, mais où la culture
gastronomique est infinie et merveilleuse – mais qui peut manger de ces plats-là ?
On aura reconnu le modèle – Cuba.
Boissieu, Porc de profil, XVIIIe siècle, Bayonne, musée Bonnat RMN. |
Les héros sont souvent des
intellectuels, spécialistes des étrusques ou de Platon, rêvant sur un art de
vivre disparu, entretenant un lien complexe avec le peuple et les pauvres,
leurs plus proches voisins. Ce n’est pas un roman sur la famine ou sur la
difficulté à se nourrir, mais sur l’envie et le besoin de viande. L’être humain
se définit par sa capacité à manger la chair des autres animaux, c’est en cela
qu’il est cannibale. La lutte pour la vie va de pair avec la lutte pour la
viande et dans ce contexte la lutte de classes sociales se tient entre ceux qui
possèdent les vaches et ceux qui les volent.
Dans cet univers, le cochon est
un animal magique. La « sombre machine à dévorer tout sauf son propre
corps » s’élève dans les cours et les baignoires, mange comme les humains,
mange les restes de soupe, dispute ses repas aux humains et se mange. Ou se
vole.
Tirelire en forme de cochon, Sèvres, Musée de la céramique, RMN. |
C’est assez facile à lire en
espagnol. Le texte est vivant.
Los cogimos mansitos-mansitos.
Robándose una vaca. Una vaca sagrada, una montaña de carne con ojos, una
hamburguesa viva. Aunque ya no está viva. Los muy cabrones le dieron la
puñalada, liberaron de un tajo su ánima dell astre bovino que la sometía. Y
ahora el ánima debe estar en el paraíso de las vacas (todas la vacas son
inocentes) ; o haciendo fila para reencarnar lo antes posible en algo
profundo como un calamar o una ameba.
On les a cueillis comme des
fleurs. En train de voler une vache. Une vache sacrée, une montagne de viande
avec des yeux, une entrecôte vivante. Enfin, elle ne vit plus. Ces couillons
l’ont poignardée ; d’une seule entaille, ils ont libéré son âme du fardeau
bovin qui l’accablait. À l’heure qu’il est, l’âme doit être au paradis des
vaches (toutes les vaches sont innocentes) ou en train de faire la queue pour
se réincarner au plus vite en quelque chose de profond – un calamar, ou une amibe.
C'est profond, une amibe ???
RépondreSupprimerComme un puits sans fond non ?
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