Une exposition intitulée Made in Algeria, généalogie d'un territoire, a ouvert au Mucem. Il s’agit de montrer
comment a été représenté et organisé le territoire de l’actuelle Algérie au
cours de l’histoire : qui fait les cartes ? et avec quels
moyens ? et dans quel but ? Le premier qui dit qu'une carte est un document objectif sort...
Les cartes de la Renaissance reprennent toutes les informations (y compris les plus fantaisistes) contenues dans les textes antiques et dans les textes des divers voyageurs qui
traversent le continent africain (voir Le Rhinocéros d’or).
Dans ces époques lointaines, la Méditerranée est une mer presque fermée
et le rivage nord de l’Afrique ne semble pas si différent de celui du sud de
l’Europe. On a affaire à un espace commun.
Deux détails d'une carte de la Méditerranée dessinée par le Marseillais François Olive en 1662. Ce parchemin est conservé à la BNF. Vous voyez la Sicile et Malte avec la croix de l'ordre et la Syrie.
Pendant longtemps les Européens ne connaissent de l’Algérie (dirigée par une régence sous protection ottomane) que ses côtes. C’est le domaine de la piraterie barbaresque (« Mais qu’allait-il faire dans cette galère ? »), des musulmans, des dirigeants ottomans, de l'étranger. L’intérieur du continent reste mystérieux et les ouvrages un peu sérieux sont transmis fidèlement, ainsi que les informations rapportées par les espions. Peu à peu se fixe un type de représentation pour la ville d’Alger : un triangle blanc, avec son penon (des îlots servant de jetée et de port) caractéristique.
Carte anglaise de 1620 conservée au National Maritime Muséum de Greenwich.
Deux détails d'une carte représentant l'attaque d'Alger par l'armée de Charles Quint (non datée, mais avant le XIXe siècle) conservée à la BNF.
Tout change avec le XIXe siècle et la colonisation française. Les premiers à établir des cartes sont les militaires. Leur technique obéit à deux impératifs : l’empirisme et l’utilitarisme. L’empirisme : les premières cartes sont celles des bivouacs et des routes suivies par les armées, qui laissent donc d’immenses zones blanches là où ne passent pas les régiments. L’utilitarisme : on indique sur les cartes les points d’eau, les tribus hostiles, les terres fertiles, les terres non cultivables.
Cette carte de 1830 indique une grande zone de "broussailles" (BNF).
Cette carte de 1830 conservée à la BNF indique les zones à sauterelles et à dattes.
L'Algérie et ses paysages rejoignent la geste française au travers de grandes peintures illustrant les étapes de la conquête et destinées à intégrer le Musée d'histoire de France du château de Versailles. Les batailles du XIXe sont les héritières de celles de Louis XIV.
Je découvre les magnifiques tableaux de Jean Antoine Siméon Fort qui sont des représentations d'événements historiques avec la précision de la topographie militaire et avec des couleurs magnifiques.
Vue de l'itinéraire suivi par la colonne expéditionnaire depuis Constantine jusqu'à Alger en 1839 (tableau de 1841) et bataille d'Isly en 1844 (tableau de 1847).
Tableau de Pierre Justin Ouvrié représentant la Marche de l'armée française sur Mascara, en 1840. Une simple explosion de rouge perdue dans un immense paysage.
Ces trois tableaux se trouvent donc à Versailles.
C’est une fois bien installés que les Français peuvent entreprendre une cartographie plus systématique, remplir peu à peu les blancs de la carte et surtout descendre au Sud. Les cartes sont dorénavant celles des terres spoliées et vendues. Elles accompagnent les affiches qui cherchent à faire venir des colons. Elles indiquent certainement que les terres les moins fertiles sont attribuées aux plus pauvres ou aux moins influents.
Carte de l'Algérie mettant en valeur ses points forts : les lieux de forage industriels, les ruines romaines, l'agriculture, les clichés exotiques (1957, BNF).
Les cartes font partie du matériel pédagogique destinée aux écoles. L’administration scolaire développe des cartes de la géologie de l’Algérie, accompagnée de diapositives montrant le développement et la mise en valeur du territoire. Les plus tardives datent des années 60 (on croit rêver).
Bien sûr, l’indépendance algérienne va redistribuer les cartes.
À voir au Mucem jusqu'au 2 mai 2016.
L'Algérie en vélo, hihihi... Ça ferait rire mon grand-père que je lui raconte ça. Quand il était jeune, avec la guerre d'Algérie, il traversait l'Algérie et le Sahara avec un camion pour transporter des chargements divers. Et il a connu plus d'une galère dans le sable et sous le soleil implacable !
RépondreSupprimerA vélo... oui, c'est sûr, ça le ferait hurler de rire !!!
Le Paris Dakar et les diverses courses automobiles sont mieux connus, c'est sûr. Mais oui la carte de l'Algérie à vélo nous a fait sourire.
SupprimerBonsoir Nathalie,
RépondreSupprimerArticle très intéressant, comme toujours sur ton blog que je visite à chaque fois avec plaisir.
Depuis, les Algériens se sont réappropriés leur pays. Du coup, il n'en existe, à ma connaissance, pas de carte (hormis une carte Michelin Tunisie-Algérie-Maroc)... Les vestiges de l'antique Hippone ne se visitent pas et ne sont pas vraiment entretenus, de même que l'arc de triomphe de Caracalla à Tebessa. Il faut encore du temps pour que les blessures s'apaisent et que l'on puisse aborder sereinement toutes les époques traversées par ce pays à l'histoire si riche.
Bonne continuation à toi,
Nadia
Dans l'exposition, la période actuelle n'est représentée que par un artiste contemporain travaillant à partir de cartes, j'avoue que cette absence est un peu décevante pour moi. Les objets touristiques destinés aux Français de la colonisation sont en revanche très nombreux, ils ressemblent beaucoup à ceux qui se sont faits pour la Tunisie et le Maroc jusqu'à maintenant (je suis moi-même une grande fan des torchons avec carte touristique !).
SupprimerEn tout cas, l'expo rend un peu compte de la longue histoire du territoire algérien.
Merci de ta visite !