Imre Kertész, L’Ultime auberge, traduit du hongrois
par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, parution originale 2014, édité
en France par Actes Sud.
Un livre impossible à résumer –
un testament.
Nous avons tout d’abord un long
extrait du journal de Kertész, puis un court texte intitulé « L’ultime
auberge » qui est une version romancée et stylisée de ce journal, comme le
récit des événements qui surviennent dans la vie de B., un écrivain qui
ressemble à celui de La Liquidation.
Ensuite, nous reprenons le journal de Kertész qui prend des accents de plus en
plus apocalyptiques. Enfin un récit consacré à un certain Sonderberg qui
réfléchit au mythe de Lot.
Donc… L’important est constitué
par les extraits du journal de Kertész, journal dépourvu de date d’ailleurs,
constitué de notes, de fragments, au sein desquels le lecteur se repère plus ou
moins. Il parle de sa difficulté à écrire, de son essai pour transformer son
journal en roman, de réflexions relatives à ses précédents romans et surtout de
l’impossible vie d’un écrivain juif hongrois.
Un écrivain : la marque
« Kertész » le contraint à fournir discours et conférences à des amis
et institutions à qui il n’ose dire non et à être sur les routes en permanence.
Kertész est un perpétuel insatisfait de son œuvre et est dubitatif ou énervé
devant l’accueil qu’il reçoit tout en ne se résolvant pas à arrêter d’écrire.
Un juif : Kertész considère
en quelque sorte que les juifs seront persécutés tant que le travail entamé par
les nazis – l’extermination – ne sera pas achevé. Il éprouve les plus grandes
craintes vis-à-vis des musulmans et des pays Arabes (sans faire la différence)
qui rêvent de l’anéantissement de l’État d’Israël et vis-à-vis de la montée des
extrêmes-droites en Europe. On le sent également très éloigné d’Israël et il
reconnaît que la seule trace juive en lui est le fait qu’il ait survécu à
l’Holocauste.
Un Hongrois : Kertész
déteste son pays qui le lui rend bien. Après avoir traversé les années de la
domination de l’URSS en essayant au maximum de ne pas prendre part à la société
communiste, Kertész n’est pas séduit par la Hongrie actuelle qui classe les
bons et mauvais écrivains. Il montre une vraie appétence pour la mitteleuropa et pour les pays d’Europe
occidentale où se manifesterait l’humanisme, l’amour de la littérature et de la
liberté tout en étant critique vis-à-vis de ce qu’est devenue l’Union
européenne.
Zao Wou-Ki, Composition, 1965, Musée Fabre |
En ce qui concerne mon appartenance littéraire, je dois donner quelques précisions pour ne pas me bercer d’illusions. Je n’appartiens pas à la littérature hongroise et ne lui appartiendrai jamais. À vrai dire, j’appartiens à la littérature juive d’Europe orientale qui, au sein de la monarchie, puis dans les pays apparus après l’effondrement de celle-ci, était surtout d’expression allemande et n’a donc jamais fait partie des différentes littératures nationales. Cette ligne va de Kafka à Celan et s’il faut la prolonger, c’est par moi. Mon malheur, c’est que j’écris en hongrois ; ma chance, c’est que mes œuvres ont été traduites en allemand – même si la traduction n’est que l’ombre de l’original. Aussi étrange que ce soit, j’appartiens à cette littérature écrite dans un allemand douteux qui raconte l’extermination des juifs d’Europe, langue contingente et qui ne saurait être que maternelle.
À tout cela il faut ajouter la
vieillesse. Kertész a le sentiment de sa déchéance physique, car la maladie de
Parkinson fait son apparition. Dans ce journal ramassé, les événements suivent
une progression qui est une aggravation : une impossibilité à vivre, à
travailler, à échanger avec les autres, un retrait de plus en plus grand en
soi. Kertész ne se résout pourtant pas à se tuer, à arrêter d’écrire, à refuser
les conférences, à s’exiler réellement, il semble tourner en rond dans une vie
qui se réduit inexorablement jour après jour. Nous avons le long récit
interminable d’une agonie politique, personnelle et physique – même si Kertész,
la Hongrie et l’Europe sont toujours debout à la fin.
Ce que les littératures nationales gardent pour elles est comparable aux secrets de famille étouffants qui, en fin de compte, ne sont même pas intéressants : peu importe si maman avait des orgasmes ou si papa était pédophile – ce qui compte est de savoir si l’écrivain a apporté un changement à son art, s’il l’a fait évoluer, s’il a écrit quelque chose qui n’a jamais existé avant lui, etc., et si c’est le cas, peu importe dans quelle langue cela se produit l’œuvre entrera à coup sûr dans la littérature mondiale.
L’écrivain entretient un rapport
complexe et empreint d’incertitude à tout ce qui semble constituer les
fondements de son identité et semble posséder l’envie irrépressible de se
débarrasser de tout.
À relire avec les romans en
regard et en réécoutant les symphonies de Mahler.
Mes billets sur les romans de Kertész :
L’avis de cycle-lecteur.
Lire le monde pour la Hongrie.
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